Vigie, février 2024

 

Matin morne

 

 

Temps clair, chants d’oiseaux. Marche sans parole dans l’aube printanière. La cheminée de la petite maison aux volets bleus fume finement. Un pigeon passe entre les arbres, on entend le rire du pic et le fracas de la cascade dont le souffle froid dissout les derniers fragments de rêves. On se heurte toujours de la même façon aux mêmes obstacles. Rien ne vient, pas un poème, seulement le jour sur les crêtes, qui nous laisse dans l’ombre. Oh, ça bouillonne fort dans le torrent, mais pas dans la tête – et si je me plains de ce que mon matin est si morne, le merle juché sur les caillasses du moulin en ruine se moque : « Tu parles pour toi, bipède maladroit, pour moi tout baigne, c’est le printemps. — Le printemps ? On n’est qu’en février, tu as vu cette crasse sous la glace ? Le voilà, ton printemps. » Puis il s’envole sans m’avoir ni regardé, ni écouté. Ne s’intéresse qu’aux chants de merles, le merle, et la mésange nonette aux autres chants de mésanges, la grive aux chants de grive, le long de ce torrent qui ne s’intéresse à rien (ni ne s’en désintéresse).

Un peu d’allant revient dans la grande montée parce que les chiens ont senti l’odeur de la bête qu’ils n’atteindront jamais mais dont la simple présence quelque part dans leur champ olfactif leur interdit de concevoir cette incongruité humaine : un matin morne.

06/02/24

 

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