Vigie, février 2024

 

Je n’écris pas

 

 

Jours précieux, jours lumineux de vraies vacances, de quasi insouciance. Je n’écris pas, je vis. Je me laisse aller à la douceur du printemps, allongé dans le transat rouge sur la terrasse ou assis sur le canapé du séjour avec la chatte, les chiens, le thé japonais, les livres.

Je n’écris pas, je lis : les deux dernières parutions de la Chambre d’échos, Jours tranquilles dans le jardin d’été de Xavier Gardette, le dernier livre de Jean-Pierre Rochat, l’énorme volume des Œuvres de Deligny, etc. De temps en temps, rarement, je me relis, je me relie un court moment à mon passé en rouvrant, cela ne m’était pas arrivé depuis des années, L’éloignement, que j’avais complètement oublié et que je découvre comme s’il s’agissait de l’œuvre de quelqu’un d’autre (en qui, quand même, je me reconnaîtrais). La tristesse que ce livre que je trouve pourtant riche et dense soit passé complètement inaperçu, m’effleure et se dissout : dans le cas contraire j’aurais été poussé à écrire, alors qu’il y a trop de livres et que c’est fatigant.

Or justement je n’écris pas, je fuis, je fuis l’exigence d’écrire qui demande un effort ainsi qu’une plongée en soi ou au dehors en laquelle je rechigne. Je regarde de vieux Star Trek ou la dernière palme d’or Anatomie d’une chute. Je vais au cinéma avec Clément, tiens, voir La zone d’intérêt, puis la suite de Dune de Denis Villeneuve, cela fait faire des rêves étranges.

Je n’écris pas, je rêve, paupières ouvertes ou closes je rêve. J’arpente des maisons insensées aux couloirs infinis et aux fenêtres bouchées par de très grosses pierres, des barbelés. Je retrouve ma mère, je la tiens au courant de la vie d’aujourd’hui, je lui dis : Nathalie est auprès de sa mère à elle, tu sais, qui a la maladie d’Alzheimer, et moi je n’écris pas. J’accordéonne un peu chaque jour, mais le cœur n’y est pas, je me trompe, les accords ne viennent pas, je vais abandonner la musique autant que l’écriture cette fois…

Je n’écris pas, je me promène, en trio, en quatuor. On n’en finit pas de s’étonner de ces saisons nouvelles qui donnent l’impression qu’on vit désormais dans un monde parallèle, comme parfois dans Star Trek, où rien n’est complètement différent ni semblable. Je m’aventure ainsi jusqu’aux sources du Gelon où je n’étais pas revenu depuis l’avant-dernier été, puis je prolonge jusqu’à la batterie, emporté par les chiens ravis de l’escapade pendant laquelle, c’est rare, je n’écris pas.

Et, ce qui est encore bien plus étonnant, quoi que n’écrivant pas je savoure l’instant, le goût du riz à la sauge et aux noix, la chanson brève de la pluie sur le toit dans la nuit, l’odeur du café, le sourire d’Élodie, son « petit air paumé ». « Décidément, je ne serai jamais écrivain, puisque, la preuve est faite, je me passe très bien d’écrire et que vivre me suffit » : c’est la conclusion à laquelle Niels est arrivé au bout d’une longue conversation qu’on a eu tous les deux, tout à l’heure, sur la terrasse ensoleillée, tout en buvant le thé.

20/02/23

 

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