Radio printemps
À l’appel tonitruant du coq un voisin répond en criant, comme pour se moquer ou bien emporté par un enthousiasme enfantin : « Cocorico ! » Le chien en face qui accompagne le paysan occupé à ratisser les feuilles au pied du châtaignier mêle alors à son tour ses appels à ceux du coq et du voisin, puis Rimski rejoint l’orchestre, gambadant dans le pré avec le désir fou de rejoindre ce compagnon à clochette. Je salue l’homme au râteau qui, peut-être parce qu’il est vieux et qu’il n’a pas vu mon geste, ou bien parce qu’il se méfie des inconnus et de leurs chiens, ne me répond pas.
Toutes les bêtes et les plantes sont branchées sur la même fréquence de « radio printemps précoce ». Ce ne sont pas seulement les prés mais aussi les sous-bois qui reverdissent, par-delà le sentier bordé de primevères. Après la brève averse matinale, les chants des passereaux résonnent de plus belle. Je jette un coup d’œil vers la maison aux volets bleus, puis m’engage sur le chemin des chênes qui mène à la forêt le long du mur en pierre qui renvoie la chaleur. À l’orée du bois, m’arrête cette image d’un lichen posé comme une offrande, gris vert très clair, très lumineux, que j’associe à quelque chose de tendre, de rassurant, de réparateur. Je prends son portrait puis je continue.
Nouchka patauge dans la grande flaque d’eau brune au soleil. Je sens que palpitent quelque part en arrière-plan de cette image, de cette bande sonore, de tout ce renouveau, quelques-unes de ces sensations floues qui préludent aux souvenirs vivants, autant dire au retour à la vie. J’ai douze ou treize ans, je me promène dans la campagne de l’avant-pays savoyard et dans les flaques des ornières j’observe le retour des grenouilles… Que n’ai-je eu, à cette époque, un compagnon chien ! Nous aurions été inséparables.
Me vient l’envie de m’asseoir sur une pierre en bordure du Gelon, mais les chiens sont pressés, eux-mêmes débordants de ferveur printanière. Parvenu en haut de la côte je fais tomber la gangue du gros gilet en laine et revient en tenue de printemps.
08/02/24
