Vigie, mai 2014

 

 

CONVERSATIONS SUR LA MORT

 

Rêvé cette nuit que je retrouvais mes grands-parents en bonne forme, et témoignais à mon grand-père d’une tendresse que je ne suis pas certain d’avoir jamais montrée aussi franchement de son vivant. Même si ce genre de visite a tendance à devenir l’ordinaire des rêves, j’y vois toutefois l’influence de deux conversations récentes.

Vendredi, comme j’allais chercher les petits au bus, M. P., notre vieux voisin veuf revenu au Villard pour la belle saison (mais je suppose qu’il ne l’appellerait plus ainsi), m’a abordé et s’est un peu confié. La solitude, après soixante-cinq ans de vie commune, la tristesse, la vieillesse, tout cela lui semblait insupportable, et il jetait sur moi un regard embué de larmes, vraiment désemparé. Je lui ai dit de passer nous voir à la maison, où il se rendait autrefois…

Hier, nous avons présenté nos condoléances à R., qui vient de perdre son père. Il nous a raconté cet assez doux départ (son père, aveugle, est mort pendant sa sieste, à quatre-vingt-cinq ans), rendu plus dur par le refus, la révolte, le rejet, la violence même de sa mère, dont les réactions m’ont rappelé celles de ma grand-mère, ainsi que par la confiscation temporaire du corps, emporté dans une caisse métallique par la police parce que le médecin de garde, en ce Premier Mai, n’avait pu attester des causes du décès. Nous avons ensuite planté deux figuiers contre le mur bien exposé de la grange. Nous avons appris que la maison de R. allait être vendue.

Les enfants cependant, parce qu’ils ont grandi, s’étaient éloignés et jouaient dans les bois, si bien qu’on n’entendait même plus leurs clameurs. Il faisait de nouveau grand beau temps.

Plus tard, à la nuit tombée, ça danse à la fenêtre. Le poirier plie. Belle nuit bleue. Maintenant, quand le soir tombe, on reste plus longtemps accoudé à la rambarde et on regarde. La chatte saute sur le toit, joue les équilibristes, glisse sur les tôles (sans doute nostalgique des anciennes tuiles en béton, qui offraient une prise sûre). Ça gronde. Le carillon tinte.

 

dimanche 18 mai 2014

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