Route, février 2014

 

GAMME DESCENDANTE

  

Ce matin tout est blanc, tout est gelé. La route est gelée. Les arbres délicatement soulignés de neige fraîche et de givre. Le ciel blanc commence à bleuir, annonciateur d’une journée lumineuse. En contrebas, comme aux plus beaux jours d’hiver, la combe de La Rochette et sans doute aussi celle d’Allevard sont complètement dans le brouillard. On quitte donc le grand beau temps de la vallée pour le brouillard de la plaine. 

 

Hier, j’ai essayé de remettre un peu d’ordre dans ce journal que j’ai recommencé à tenir avec une plus franche régularité depuis la fin de L’éloignement. Je l’avais jusqu’à présent découpé en recueils correspondant grosso modo à l’idée que je me faisais des saisons. Ce découpage irrégulier, qui faisait commencer l’automne en septembre et le printemps en février, ne me semble finalement pas moins artificiel que le découpage officiel, et je me suis dit qu’il valait mieux ne plus faire qu’un seul texte.

Il n’en reste pas moins qu’il est bon d’être attentif aux articulations du temps. Le début, l’apogée, la fin, avec le jeu d’aller et retour qui caractérisent les aléas du temps qu’il fait. Dire que la période actuelle est « la fin de l’hiver » ou « le début du printemps » ne change évidemment pas grand-chose. C’est peut-être simplement une question de tonalité. Un do dièse et un bémol correspondent (presque) à la même date ; mais on dit « do dièse » pour une gamme ascendante est « ré bémol » pour une gamme descendante (ce point est à vérifier, c’est peut-être l’inverse). 

 

Je joue ce matin ma gamme descendante, et me voici maintenant pris dans le brouillard.

Feu orange clignotant. Rares silhouettes des collégiens accrochés à leur portable et qui marchent le long de la route. 

Un gros plot vert arraché sur le bas-côté (on se demande comment il est arrivé là). 

Les bouquets de primevères et la mousse semblent luire avec plus d’intensité d’être ainsi pris dans le brouillard. 

Six ou sept chardonnerets font cercle au milieu de la route et tardent à s’envoler malgré mon arrivée ; on se demande ce qu’ils avaient de si important à se dire. 

Le brouillard est comme une deuxième nuit, et l’on retrouve à regarder les fenêtres des maisons éclairées les sensations de décembre. 

Ici, devant l’école d’Arvillard, on prépare manifestement un grand départ : simple journée de ski, classe de neige ? Tous les parents se sont massés sur le trottoir, devant le bus, comme devant un quai de gare. Ils ont l’air grave, un peu inquiet, des parents qui voient partir leur enfant. 

Dans le dernier virage avant le petit cimetière, l’eau des ornières a débordé. C’est toujours ici qu’elle déborde. 

Les voitures aux phares allumés se croisent sans se saluer ; on dirait de gros scarabées aveugles. 

Parfois un pan de glace ou de neige se détache encore de la voiture, fait un petit crépitement et va s’écraser sur la route. 

Les silhouettes fantomatiques des grands sapins bizarrement m’évoquent la forêt guyanaise à l’aube, sans doute à cause du brouillard. 

Encore une journée, une semaine. Puissé-je en sucer avec avidité tout le suc ! Ce serait bien le diable s’il n’y avait pas quelque chose de bon à en retirer.

 

17 février 2014 

 

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