Route, février 2014

 

RÉVOLUTIONS

  

Je passe lentement près de la mare aux grenouilles, franchi le pont au-dessus du nan des Fruitiers — cet endroit même où nous nous promenions hier avec les enfants et les bêtes. Il fait encore froid. Les prés sont recouverts d’une fine couche de givre. Il a fallu gratter le pare-brise que j’avais négligé de protéger. Je guette, à la sortie du Verneil, ce gros reptile de la montagne que j’ai vu apparaître l’autre jour ; je vois bien le relief, mais plus le reptile, car la forme qui était apparue alors détachée du reste de la montagne (en l’occurrence de l’Épine) ne s’en distingue plus. J’accélère. Je file vers ce ciel absolument sans nuage, bleu pâle, en direction de la ligne nette et lumineuse que dessine la Chartreuse.

 

J’ai rêvé cette nuit que toutes les feuilles étaient sorties et que mes cheveux étaient devenus blancs.

 

Lu en passant à la devanture d’un magasin d’Arvillard : « un record de médailles pour la Savoie ». Je pense à tout ce qui continue malgré la mort de Thierry, à ces jeux qu’il aurait certainement suivis distraitement, et pendant lesquels un hommage lui a été rendu. Le médaillé d’aujourd’hui, que va-t-il devenir ? Suicidé à 35 ans ?

Pendant ce temps la révolte de la rue en Ukraine est devenue révolution et le régime est tombé. Révolution presque déjà condamnée : le pays est au bord de la faillite, gangrené par la corruption, de toute façon dépendant du voisin russe, et l’Europe n’a visiblement plus les moyens financiers et moraux nécessaires pour faire encore rêver à des lendemains qui ne déchanteraient pas trop vite.

 

En passant je vois mon élève L. qui fait les cent pas devant chez lui, entouré de son ombre au milieu du grand champ blanc. L’insouciance ici est encore relativement permise. Mais les paroles n’accrochent pas assez et le regard se perd à suivre les fumées.

 

lundi 24 février 2014

 

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