Salles d’attente…

 

 

 

DU DENTISTE (2)

 

 

Chaque année on revient dans cette salle d’attente du dentiste, à Pontcharra, où je me souviens avoir écrit quelques lignes à propos de cette photographie de Willy Ronis montrant un enfant qui court sur fond de mur gris en portant avec lui une baguette.

 

Cinq ans plus tard rien n’a changé. Le cadre est toujours en place, seul le temps a passé et l’on a installé, peut-être pour prévenir les douleurs inhérentes au passage du temps, deux canapés moins inconfortables que les chaises d’avant, et où nous nous installons.

 

Rien n’a changé, donc, pour cette habituelle visite avec Léo chez le dentiste, avec ce que cela suppose de tension et d’inconfort chez quiconque a les nerfs fragiles, surtout ceux des dents. L’enfant, qui est de moins en moins un enfant, attend près de son père, une fois encore. Pour échapper à l’ennuyeuse réalité on se réfugierait volontiers dans une de ces revues affligeantes qui ornent la table basse, ou dans les nouvelles du monde qui obsèdent déjà bien assez, ou encore dans l’image de Willy Robin qu’on a déjà assez regardée, ou encore dans ce paysage d’automne finissant auquel on tourne le dos ; on s’obstine cependant à reprendre le cours de cette rubrique presque abandonnée dans laquelle on était censé prêter aux moments les plus inintéressants de l’attente une attention susceptible d’en révéler le caractère précieux, paraît-il, puisque la vie se doit de l’être.

 

Pari perdu d’avance – cela fait des lustres qu’on a préféré jeter l’éponge, par découragement, par paresse, ou bien parce que le temps imprévisible de l’attente laisse rarement la possibilité de s’installer dans l’écriture, de se laisser pleinement happer comme il se doit, car l’interruption fatalement arrive au mauvais moment, un peu trop tôt, comme aujourd’hui où, à peine installé aux côtés de Léo, il me faut m’arracher au confort du canapé pour subir une fois encore (mais je laisse Léo me précéder parce que je suis peureux et que cela me permet de conclure) la petite torture du détartrage en songeant avec envie à l’invraisemblable courage dont avait fait preuve naguère ma mère lorsqu’on lui avait raclé toutes les gencives, laissant ses dents dénudés, et dieu qu’elle avait souffert alors, en silence, sans même pouvoir serrer les dents, mais tellement vaillante…

 

Pontcharra, 7 novembre 2019

 

Ce contenu a été publié dans L'entre-temps. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.