Salles d’attente…

 

 

 

de l’orthodontiste (2)

 

 

Orthodontiste02

 

 

 

Retour dans cette salle d’attente aquarium par un jour de grand vent, cette fois, de grand ciel gris de décembre printanier, où les drapeaux claquent et les arbres plient, où les passants pliés en deux dansent parmi les feuilles mortes et les débris de journaux.

 

Je m’assois dos à l’aquarium pour varier le point de vue (et parce que la place de la dernière fois est prise), si bien que je suis moi-même baigné dans ces couleurs changeantes et ces bulles qui, mêlées au gris jaune du ciel, déréalisent le moment et le lieu de l’attente.

 

L’immeuble est en travaux, la rue est en travaux et tout vibre du vacarme terrible du marteau-piqueur, dont les courtes pauses (comme la respiration d’un dragon mécontent) laissent entendre la rumeur d’eau de l’aquarium. Comme toujours chacun s’affaire sur son écran : entre les grandes fenêtres, les portes vitrées, les cloisons de verre, les tables basse en verre également et tous ces écrans des smartphones que l’on regarde le plus souvent à travers des lunettes, c’est à se demander où est la réalité.

 

Peut-être là-haut, du côté du Nivolet, dont la pointe gris sombre crève le ciel plus clair.

 

Peut-être dans la cabine de cette grue qui, malgré le vent, manœuvre au-dessus du chantier qui jouxte la voie ferrée, de l’autre côté de la Laysse, dans cet espèce de no mans land urbain cerné d’immeubles et de routes où de petits bonshommes orange fluorescent à casques blancs s’agitent pour tenter de réparer le désordre. Cette grue, on la regardait tourner tantôt en descendant la rue avec l’enfant, et l’on disait : quelle vue on doit avoir de là-haut, quel vertige, regarde comme elle tangue, et l’on pensait à ce film, ce court-métrage je crois, dans lequel un enfant s’adonne à une danse énigmatique qui laisse perplexes adultes et spectateurs jusqu’à ce que l’on comprenne que l’enfant imite la grande grue qu’il regarde chaque jour à la fenêtre de sa chambre – et peut-être y-a-t-il un enfant, un tout petit (un qui n’a pas l’âge d’être à l’école ou un qui est malade) qui, depuis une des fenêtres du paquebot d’en face, regarde comme moi cette grue et l’imite, émerveillé par l’élégance de ses mouvements.

 

Ma grue, cependant, cesse son manège, sans doute parce que le vent est vraiment trop fort. Un ouvrier passe le kärcher en bordure du chantier – gouttes d’eau envolées. Gyrophare jaune vif dans l’air humide. Une jeune fille asiatique traverse en regardant en l’air, une autre slalome en vélo parmi les voitures tout en tenant d’une main habile son téléphone. La grue repart, s’arrête, repart à nouveau pour laisser pendre ses câbles interminables au-dessus du camion au gyrophare jaune que l’on décharge alors d’une grosse benne bleue qu’un tout petit enfant transporté par devant à vive allure par sa mère très pressée semble désigner du doigt – « regarde, maman, le bateau volant » – cependant qu’un tout petit avion blanc remontant en sens inverse se faufile entre les câbles de la grue et disparaît de l’autre côté du paysage.

 

« Ici, votre futur parking Ravet. » C’est donc cela : que d’agitation pour, in fine, permettre de stationner.

 

D’ailleurs, c’est sans fin, ça ne s’arrête jamais – c’est cela que j’aime tant je crois dans la ville, dans la vie, ce mouvement qui ne s’arrête jamais, toutes ces allées et venues de piétons, de voitures, de scooters, de grues et d’avions…

 

20 décembre 2019

 

© Lionel Seppoloni, tous droits réservés.

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