La salle en juin

 

 

 

DES ÉCLATS, DES LAMES, QUELQUES LARMES

 

 

Cette fois, pour cette nouvelle dernière fois, pas de bande-son crépusculaire dans la salle aux volets clos : je veux des éclats, des lames, quelques larmes seulement. Des éclats comme des éclairs pour secouer la torpeur de ce jour de fournaise où le thermomètre affiche vingt degrés à l’arrivée (je tente de garder un air digne pour traverser la cour en supportant le poids des deux accordéons, du saxophone et des deux sacs) et trente-sept degrés au départ ; des lames, c’est-à-dire des vagues, bien sûr, pour rafraîchir, remettre in extremis du mouvement, mais aussi pour couper sans cruauté les liens qui nous rattachent à cette année passée ; et quelques larmes, tout de même, pour ne pas oublier que l’heure est grave et que, même si on joue, on ne joue pas.

Dans le couloir Gabriel et Quentin m’attendent déjà, et je pose en lieu sûr le beau Yanagisawa de Quentin près de mon Yamaha. Je ne sais pas ce qui va se passer, mais je sais ce que je veux : des éclats, disais-je, quelque chose de fou, de tourbillonnant, de tonitruant ! À la fin d’Harold et Maude Harold s’en va en dansant et en jouant du banjo : ainsi cette année s’achèvera-t-elle en musique.

Est-ce que l’amour peut aller au-delà de l’apparence physique, de l’âge et des contraintes sociales ? Parfois, peut-être, mais c’est bien limité, bien rare et souvent tragique. La musique le peut davantage. Elle fait du maître un élève, de l’élève un maître, et transforme un gnome en prince plus sûrement que la magie des contes de fée – elle est magie réalisée. Elle réveille la sensibilité et ravive l’intelligence. Elle n’est pas l’expression de notre humanité, mais son essence ! Et elle nous rappelle, par ses épuisantes contraintes, qu’on n’atteint pas la liberté sans travail, sans courage, sans volonté, sans passion, sans abandon, sans soumission.

Le saxophone, je ne l’ai que depuis une semaine, et j’ai commencé à comprendre cette nuit comment il fallait s’y prendre pour le faire sonner. Et, miracle, il sonne (pas sans efforts). L’anche vibre bien, dans ce matin moite. Je parle de mon vieux camarade clarinettiste Yvan, et me voici comme lui semant la pagaille dans tout l’étage puis improvisant dans la montée d’escalier et, la récréation venue, dialoguant avec Quentin, qui me montre comment faire le do grave (paquebot), le fa dièse aigu (bourdonnement de moustique amplifié).

La dernière après-midi se fera dans le silence moquetté de la Salle de Musique, en compagnie de Jean-Marie qui saisit ses notes (et en glisse quelques-unes au piano). On sonne le début de la fin sur le grand bol chantant de Quentin et puis…

 

Aux percus Jules et Ryan martèlent

les dernières secondes

du dernier cours

et c’est miracle

parce que la mélodie

s’échappe

repart

reprend

se prolonge

par la grâce du saxo de Quentin

que rejoint Jean-Marie au piano

dans la fournaise de la salle

et la fumée de cette année qui

s’échappe, repart, reprend

vieux feu de joie qui flambe

en nos mémoires

et puisse-t-on s’en souvenir au loin

en faire des réserves de chaleur

pour tous les hivers à venir

ce sera bien

échos sans mots

ou avec

puis le silence entre les notes

s’enroule

liseron blanc de cet été

sans fin –

et c’est la fin.

 

Dernières offrandes, dernières paroles qu’on enregistre et que ponctue le bol. Merci pour les mots, et merci plus encore pour ces larmes sans lesquelles la fin n’eût pas été tout à fait juste, ni mon vœu accompli ; et merci pour ces lignes déposées sur la table, anonymes (mais je crois reconnaître l’écriture), qui disent :

 

Regardez le joueur de bol,

c’est celui qui annonce

le début et la fin.

 

Celui qui nous fait

miauler, saigner, jouer ou rire

mais il peut aussi nous faire rêver

avec ses histoires

de ses années passées.

 

Regardez le joueur de bol,

c’est celui qui annonce

le début…

et la fin.

 

22 juin 2017

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