La salle en juin

 

 

 

ATTENTE EN ÉTÉ

 

 

Assis à l’ombre en ce jour de fournaise où seuls les martinets trouvent encore la force de s’élancer pour crayonner dans le ciel bleu livide les traits fugaces de leurs vols, assis, pas affalé mais adossé contre le bois de la paroi, les fesses au sol entre deux poteaux de métal dans ce lycée déserté qui sent l’herbe coupée et la poussière, je mesure une fois de plus tout ce qui me sépare, tout ce qui me rapproche du jeune homme en noir qui naguère s’asseyait pareillement contre les portes, dans des couloirs assez étroits plutôt que dans un parc, mais pas plus qu’aujourd’hui enclin à se mêler aux groupes, franchement solitaire même et, surtout par maladresse, manque d’assurance, manque d’appétence, manque d’adhérence à sa propre existence, regardait de loin la vie des autres et leurs visages surtout, certains visages androgynes qu’il conservait ensuite sous ses paupières, ou bien se détournant tout à fait des gens et de lui-même s’absorbait (pour se donner contenance d’abord mais il finissait par y prendre goût) dans la contemplation de l’arbre à la fenêtre, du ciel livide, des martinets, tant et si bien que peu à peu apparaissaient, disparaissaient dans l’entrelacs des branches, des nuages ou du vol des oiseaux les lignes rêvées des visages ainsi agrandis, sublimés, inaccessibles mais qui rendaient pourtant le monde plus accessible, plus désirable, l’incarnat des lèvres et des joues affleurant entre les feuilles dans l’arrière-plan du ciel, les boucles brillantes des chevelures adolescentes ondulant dans le fouillis tiède du tilleul, tant et si bien que la solitude même et l’attente dans lesquelles il se complaisait et aux charmes desquelles rien ne l’arracherait se nimbaient d’une sensualité que ravivait sous sa chemise l’imperceptible caresse de l’été.

Plus de caresse, cependant, et le monde aujourd’hui est moins amical, moins jeune, moins sensuel, moins à vif quoi que moins distant – et même si d’aventure l’un de ces visages naguère aimés venait à rôder par ici, greffé sur quelque corps inconnu, il est probable que je le regarderais avec surprise mais si peu d’émotion que c’en serait navrant, vraiment navrant, comme navrent toujours le temps perdu, les rendez-vous manqués, les trop tard, l’indifférence, l’attente en été dans un lycée désert.

 

Pontcharra, 13 juin 2017

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