Vigie, février 2010

 

CAUCHEMARS

 

Pluie froide (« Le soleil en Savoie, c’est un concept ? » blague une retraitante). Toute la journée je rame lamentablement à contre-courant, à côté de ma pirogue. Autant vouloir accélérer tout en débrayant, pour changer d’image. (Il faut dire que je sais que je vais aller bientôt à la boutique faire quelques emplettes, alors je pense à la maison et à ses habitants et je ne suis plus du tout à ce que je fais.)

*

Trois heures du matin. Nuit agitée. Rêvé d’une ascension en montagne en compagnie de porteurs dompas. Le vent mugit. C’est la nuit et nous sommes plaqués contre la falaise. Lumière électrique. Les ruines d’un camp où tout le monde est mort apparaissent, projetées comme un mirage.

Perdu en mer dans un bateau par une journée de forte tempête, je crains de finir noyé.

Et puis, le chat Arthur revient, vieux, tout croûté ! C’est un chat noir et blanc, alors qu’Arthur était, je crois tigré. Je veux raconter cette histoire qui est liée à ma mère mais tout est si triste que les mots défaillent et je claque des mâchoires comme un vieillard sans dentier. L’éphémère, la vieillesse, des photos de disparus qui défilent. Je vais jeter un œil à la fenêtre : grondement de la montagne, confusion.

Plus tard. Ma grand-mère est sur son lit d’hôpital et refuse de manger. Elle tourne la tête. Une infirmière excédée la brutalise, la soulève, la jette sur le lit. Son corps aussitôt rapetisse. Je la calme, l’embrasse. Je dis à l’infirmière visiblement à bout que je ne la juge pas mais qu’il faudra que je signale ce que j’ai vu parce que ce n’est pas acceptable. Je reviens le lendemain et trouve sur le lit la tête, seulement la tête de ma grand-mère dans un sac en plastique, et qui dit avec sa voix habituelle, son accent italien: « Mais pourquoi ils m’ont enlevé mon corps ? » Je trouve enfin un docteur qui finit par avouer que le corps a été jeté par erreur.

Ce rêve assez atroce, je le revis et le raconte à nouveau plusieurs fois dans la nuit, à mes parents qui ne veulent pas l’entendre. Je rêve encore du chat Arthur dont le miaulement monte en moi comme un fantôme. Rêve enfin d’un retour en Guyane, dans la maison de Rémire totalement chamboulée.

La foudre tombe.

Quand la cloche de six heures me réveille enfin, le lit est un champ de bataille.

 

Karma-ling, 25 février 2010

 

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