Vigie, février 2010

 

ÉLOGE FUNÈBRE DE MON GRAND-PÈRE

 

 

Pour mémoire ces quelques lignes lues à l’église, ce jour de février 2010, pour mon grand-père disparu et ma grand-mère qui lui survivait (et lui survivrait finalement peu de temps). Larmes, lenteur et réverbération…

C’est vrai que votre histoire est un roman, dont on aimait tourner ensemble les pages quand nous nous retrouvions, le soir, et que vous racontiez… Vous vous êtes rencontrés et aimés dès l’enfance ! Pépé, tu racontais encore il y a quelque temps votre premier baiser : vous aviez dix ans… mémé, tu gardais les moutons dans la verte campagne italienne, près du lac de Trasimène (c’était en fait des cochons, et la campagne n’était pas si verte…). Pépé est venu vers toi, il t’a embrassée, tu l’as regardé… et tu lui as aussitôt jeté une pierre pour le chasser ! C’était un début…

Par la suite vous avez traversé les épreuves de la misère, de l’exil, du temps, de la maladie, en restant unis jusqu’au bout. Devant son lit de mort, mémé, tu disais l’autre jour à pépé : « On a gagné… » C’est vrai, en un sens, que vous avez gagné. Pas contre la mort, bien sûr (contre elle on perd à tous les coups !). Mais par votre courage, par la force de votre amour, vous avez réussi à infléchir la destinée qui aurait dû être la vôtre, et la nôtre.

À nous autres petits-enfants et arrière-petits-enfants vous avez offert la possibilité d’une vie meilleure, bien plus douce que celle que vous avez connue. C’est d’abord au combat de mon pépé pour obtenir ta main, mémé (ceux qui connaissent toute l’histoire savent que ce ne fut pas facile), c’est à cette folle aventure du départ en France et à toutes ces années de lutte, de travail et d’efforts, que nous devons notre quiétude, notre bien-être actuels.

Mon pépé, tu n’avais pourtant rien d’un conquérant. J’ai même du mal à t’imaginer avec cet air décidé et fier que l’on voit sur certaines photographies anciennes, toi qui étais la douceur, la discrétion, la bonté mêmes ! Je ne te connaissais pas non plus comme maçon mais comme ce grand-père malicieux qui adorait jouer avec les enfants – avec nous, ses petits-enfants, mais aussi avec tous les enfants que tu gardais, mémé.

C’était un homme simple et bon.

Je nous revois jouant au ballon devant la petite maison de la rue Parmentier, où tu avais tout fait. Notre petit monde, un lieu important de notre enfance où sont rassemblés tant de souvenirs ! Je te revois montant et descendant les escaliers, montant et descendant les escaliers, farfouillant parmi les bocaux ou ces outils que tu aimais tant, toujours à siffloter nonchalamment comme une bonne cafetière italienne ! Tu exprimais rarement tes sentiments par des mots — sauf sur la fin, pour dire l’urgence de nous revoir, parce que tu savais que le temps était compté et que tu avais peur qu’on l’oublie… C’est vrai que la parole a toujours été pour toi un obstacle : trente ans après, tu parlais toujours avec maestria un français surprenant, un italien déconcertant ! Mais on te comprenait, on riait avec toi quand tu racontais les bons tours que tu avais pu jouer et quand tu nous faisais un cadeau, quand tu jouais avec nous, tu avais l’œil qui souriait… Quel bonheur d’avoir pu te voir jouer et rire aussi avec Léo, ton arrière-petits-fils.

À présent quelque chose s’est brisé. C’est l’heure des adieux. La vie va continuer, et je sais que cette idée te plaisait : d’autres arrière-petits-enfants vont venir qui prendront la relève, continueront à faire tourner la roue.

À toi mon pépé, à toi aussi mémé, je voudrais dédier les joies à venir, rendre en retour l’amour que vous nous avez donné, que nous transmettons à notre tour… et qui est plus important et plus fort que la souffrance et que les larmes.

Je suis fier de mon grand-père, maçon italien, homme digne bon.

Montluçon, 3 février 2010

 

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