Vigie, avril 2009

 

 

 

L’INDIEN DU VILLARD

 

 

Tapi comme un enfant, un félin ou un Indien sous le grand portique que forment, à la lisière des champs juste au-dessus de la maison, les deux puissants châtaigniers noircis et creusés par la foudre mais d’autant plus solides, je scrute et j’écoute. Dans l’air encore humide les appels portent loin : ce chant puissant, roulé, sophistiqué, ces trilles irréguliers et saccadés qui évoquent la virtuosité du merle en même temps que le babillage de l’hirondelle mais dont la provenance quelque part dans le creux des buissons demeure mystérieuse, j’ai d’abord cru qu’un troglodyte en était le discret auteur ; puis une calotte noire entraperçue m’a confondu : une mésange noire ? − C’était évidemment le chant printanier d’une fauvette.

Deux ans après le retour de Guyane, il me faut réapprendre les oiseaux de chez nous…

La sitelle, de nouveau je la reconnais bien, sans même la regarder.

Et ce chant doux et profond qui descend du sapin, est-ce celui de la grive draine ou de la litorne ? Un coup d’œil aux jumelles : l’oiseau solitaire est tout tacheté, vraiment superbe, et c’est (sauf erreur de ma part) une grive draine.

Des nuages envahissent le Pic de l’Huile et ce paysage de bel automne printanier. Lumière douce, douceur des chants à perte de champ, fumée d’un feu de branches…

 

À neuf heures mon enfant dort encore et le soleil a envahi toute la vallée. Je termine la lecture du deuxième livre d’André Cognat, rêvant de vivre ne serait-ce que quelques jours dans la quiétude d’une libre improvisation du quotidien, oublieux des projets, des contraintes. 

 

Je scrute et j’écoute.

 

Je vaque.

 

Je vais à la fenêtre, à la table du bureau, sur le fauteuil ou la terrasse pour feuilleter encore un bouquin ou un autre, pour vaquer, pour scruter. 

 

Vacance. Vigilance.

 

Trois heures durant je marche avec Léo, qui serre assez fort ma main pour ne pas retomber sur les bogues qui jonchent le sol. Il babille, impose des règles inattendues, des directions fantaisistes guidées par son désir d’escalader les troncs ou de regarder les champignons qui rongent les vieilles souches. Il proteste lorsque je m’attarde pour identifier un oiseau, niant des évidences (« Mais non, papa, il n’y a pas d’oiseaux ! »), veut brûler les étapes (les ânes avant la mare !). Pour ce qui est de la présence aux choses je peux toujours m’aligner : il est imbattable. L’idée du retour, la contrainte d’un repas à préparer ou du ménage à faire, ne l’effleurent pas. 

Pourtant, lorsque appelés par ce vaste champ tout ensoleillé qui domine les Landaz et où nous avons toujours eu grand plaisir à nous arrêter, nous nous allongeons l’un contre l’autre et fermons un moment les yeux (« Papa, on dort ! »), je le rejoins aussi pleinement qu’il est possible en son territoire d’insouciance, de présence au monde et de sensations polyphoniques. Un milan royal plane au-dessus de nous. Un bourdon bourdonne, un papillon jaune hésite à se poser sur les fleurs incongrues de nos têtes. La terre est chaude et douce, on dirait presque : bonne.

 

 

3 avril 2009 

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