Vigie, avril 2009

 

  

 

LA RUMEUR DE LA GUERRE

 

  

Après-midi de quiétude dans la maison nouvelle. Le soleil et les averses alternent et se mêlent. Superbe lumière, superbes nuages le long de la colline en face du côté du chef-lieu de La Table. 

Les travaux sont presque terminés, ici commence le premier carnet de l’habitation. S’ouvre ici le temps de l’ici, le temps du maintenant, le temps d’habiter. On continuera pourtant comme avant à se laisser porter par le mouvement du monde, à filer au ralenti comme ces nuages, cette fumée au fond du paysage ; mais ce sera, nomade sédentaire, dans la stabilité de la demeure — parmi tous ces repères immobiles qui permettent de mieux voir la vie se mouvoir.

Assis sur le fauteuil orange du bureau jaune, je bois mon thé, bouquine et griffonne un peu, un œil sur le paysage. Soudain c’est une averse de grêle qui s’abat sur le toit de la grange et crépite. Les premiers mots écrits au Villard le furent ici même, il y a un peu plus d’un an ; il faut dire que c’est un excellent repère pour surveiller ce qui se passe dehors. En ville j’adorerais pouvoir regarder les passants dans la rue. Je pourrais assez facilement passer tout le restant de mes jours devant cette fenêtre ou une autre, sans ressentir ni lassitude ni ennui. Ce ne serait vraiment pas un exploit.

La grêle se changeant en pluie, le toit de la grange brille et reflète la blancheur des nuages.

 

*

 

J’ai regardé ce soir le film d’Ari Folman Valse avec Bachir. L’image insoutenable de cette enfant morte, ensevelie jusqu’au visage dans les décombres de Sabra et Chatila, se mêle à celle des derniers massacres israéliens dans la bande de Gaza. C’est donc bien vrai que la vie n’est que souffrance indépassable. On reste la gorge nouée devant ce cauchemar. On aurait peut-être préféré ne pas retrouver la mémoire, ne pas savoir, ne pas voir. Le film, qui passe si terriblement des images dessinées aux images d’archives, permet de crever la bulle d’irréalité protectrice.

Monde insupportable, monde de souffrance, de violence, ou même la plus paisible et la plus protégée des existences ne saurait s’achever autrement que dans la souffrance et la violence constamment embusquées aux angles du quotidien.

Qu’est-ce qui peut rendre tolérable la mort de cette enfant ?

Tristesse infinie, compassion inutile.

Il est bien tard. Tout le village est endormi à l’exception de la hulotte et des chauves-souris en chasse. Grand silence. Si l’on tend bien l’oreille on peut entendre, mêlée à celle du Gelon, la rumeur de la guerre.

 

17 avril 2009

 

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