Pragondran (1995-2015)

 

 

 

JANVIER 1996

 

 

Prendre dans ses mains une poignée de terre noire, et la palper bien longtemps.

Caresser encore l’écorce du jeune bouleau.

Humer la mousse, écouter, marcher, respirer.

Monter sur la colline en compagnie de la brume et des trilles des mésanges.

Tremper ses mains dans l’eau froide gardée au creux du calcaire.

La brume est partout. Un chien passe sans me voir.

Tout en bas de la falaise la ville gémit dans son sommeil.

La brume s’épaissit : c’est l’hiver, dit un corbeau.

La brume monte.

Depuis la falaise tu regardes cet océan blanc, et le jeune bouleau si doux sous la paume.

Courir à travers la colline, avec la lumière pour compagne.

Les hommes qui passent par ici ont d’étranges corps de brume.

Soudain la brume s’écarte, et l’on ne voit plus que lui : un bouleau tout seul, tout nu.

Plus loin sur le sentier, je tombe nez à nez avec deux chamois. Nous nous regardons, eux soufflant, moi essayant d’imiter ce que je crois être le langage du chamois. Ils s’éloignent sans hâte : écrivant ces lignes je les entends encore marcher juste au-dessus de moi, dans le petit bois…

 

*

 

Ces notes ont finalement donné lieu, sous le titre de « Première neige », au petit poème qui conclut D’un hiver à un autre :

 

Prendre dans ses mains

un peu de la neige fraîche

qui recouvre la colline

tremper son visage

dans l’eau glacée du torrent

transparent

caresser la brume

et ce jeune bouleau qui tremble

tout au bord de la falaise

marcher dans l’hiver

avec son vrai corps de brume

se découvrir corbeau blanc,

saluer en passant

les chamois roux dans la neige

ou le lièvre qui détale

s’arrêter à chaque appel

à chaque frémissement dans l’air

à chaque trouée dans la brume

respirer

ce parfum extraordinaire

de la première neige

c’est soudain comprendre

que rien ne saurait refermer

le « chemin de neige ».

 

27 janvier 1996

 

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