Vigie, septembre 2015

 

 

 

LA DOUCEUR

 

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Il faudrait dire très vite la douceur de ce dimanche soir d’abandon, que je passe à fouiller les carnets des années antérieures avec, sur mes genoux, la chatte Dana qui ronronne.

Il faut le dire très vite avant qu’elle ne se brise. Un simple coup d’œil au portrait de ma mère peut suffire : ne plus la voir, ne plus jamais parler ensemble autrement que dans les rêves semble si peu compréhensible. Je ne veux pas fouiller cette faille. Je me détourne de plus en plus, de mieux en mieux. Je parle moins du deuil. Comme la chatte lovée contre moi je cherche le réconfort et la sécurité, que je sais illusoires…

Ce soir mon père est reparti seul dans la grande maison désolée des Vellats que je ne reverrai plus. Au Villard il a bien travaillé, jusqu’à l’épuisement, à cette pièce du bas dont ma mère redoutait tant l’aménagement, synonyme pour elle de longs jours de travaux ennuyeux.

Nous sommes repartis dans les bois cueillir les girolles, la lumière était belle. Clément, malade et fatigué, est rentré se coucher.

La chatte Onça, dévorée par son irrépressible jalousie, continue à harceler le chat musique en lui sautant dessus quand il dort, quand il sort, dès que je ne la vois pas – la voici pour un temps privée de maison, ce qui ne règlera pas le problème mais devrait assurer une nuit sans hurlements…

Clément dort, qui ira demain son premier cours de musique. Léo dort, qui rêve pêle-mêle du Hobbit de Tolkien, de Star Wars, de Jules Verne et du rondo en la mineur de Purcell que nous avons joué puis fredonné en boucle une bonne partie du week-end…

L’automne, la musique, les chats : toute la quiétude domestique d’un tableau de Bonnard, avec quand même ses dissonances, ses ombres.

 

Pendant ce temps l’Allemagne accueille dignement les réfugiés syriens dont une majorité de Français ne veut pas entendre parler (la photo d’un enfant mort changera un peu la donne, ce qui montre en passant que dire et montrer n’est pas toujours vain…).

J’ai honte. La peur et les discours de haine l’auraient donc emporté ?

Cerné par la peur, par la haine, par l’ordinaire mais lointaine cruauté du monde, je tente de noter au plus vite, en guise de preuve, l’étonnante douceur d’un dimanche soir vraiment vécu, ici, au Villard de La Table, en ce début d’automne.

 

6 septembre 2015

 

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