Vigie, septembre 2015

 

 

 

ÉLOGE DU POISSON ROUGE

  

OnçaetPatawa

 

Sur le paillasson maculé de sang s’est traînée la dernière victime des chats : un lézard encore bien vivant, auquel ne manquent que la queue et les deux pattes arrière. « Il faut le mettre dehors pour qu’il s’échappe, papa ! », dit l’enfant ; ce que je m’empresse hypocritement de faire, laissant croire à un sauvetage.

Et puis, un peu après : « Dis, il n’avait plus que deux pattes, ce lézard ; tu crois vraiment qu’il va s’en sortir ? »

L’idée de ce petit amas de souffrance animale en train d’agoniser dans l’herbe remplit de malaise.

 

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Dernières balades forestières et automnales de pleine quiétude : dimanche, ce sera l’ouverture de la chasse, et l’on ne sortira plus que rarement, avec la peur des balles perdues et des bêtes débusquées, blessées, agonisantes, dont le spectacle lamentable suffit à gâcher toute escapade. Clément désigne avec emphase girolles et pieds de mouton, puis porte comme un sceptre le trophée de ce cèpe qu’on savourera sitôt rentrés.

Soudain on entend des miaulements terribles, et le chat Musique déboule de derrière un arbre. On arpente longuement avec lui ces sous-bois où il ne se risquerait jamais seul.

Marcher dans la forêt en compagnie d’un chat et d’un enfant fait, à mon sens, partie des plus grandes joies de l’existence : c’est un peu comme si l’enfant réconciliait avec le temps, et le chat avec l’animal…

 

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Retour de balade. Le chat Musique musarde et se frotte à nos bottes. Soudain la chatte Onça, qui s’était embusquée dans l’herbe, bondit sur lui toutes griffes dehors et le poursuit jusque dans un arbre. Je la poursuis à mon tour à travers le bois où elle me sème et, avec un remarquable sens du terrain et de la stratégie militaire, me contourne pour revenir attaquer de plus belle le pauvre matou qui était descendu de son arbre et y retourne en hurlant.

La scène se reproduit plusieurs fois et me laisse tremblant et impuissant devant cette fureur féline qui, depuis un an, va empirant et transforme la maison en un champ de bataille.

 

*

 

Je suis en train d’achever la rédaction de l’annonce par laquelle je propose de donner « contre bons soins » ma chatte Onça, quand la porte grince et le fauve caractériel vient se blottir sur mes genoux en ronronnant théâtralement.

La honte me vient. Je la revois, chaton affamé sauvé d’une mort imminente par Nathalie, se gavant de pâtée en prenant sans vergogne la place des deux matous à la gamelle de la maison de Guyane ; je la revois jouant les trapézistes au-dessus du hamac pendant que je relis La Chanson du Roland, puis défiant la chienne en d’interminables et bruyantes joutes… Je ne peux pas faire cela !

Quelques instants plus tard un bruit de chatière que je n’ai pas perçu la précipite deux étages plus bas. J’entends les hurlements du chat Musique, suivis des aboiements de la chienne qui le défend et met le fauve en fuite…

 

*

 

Dimanche d’averse ; roulée en boule sur le lit, la chatte aux griffes rabotées dort…

 

11 , 12 et 13 septembre 2015

 

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