Route, juillet 2016

 

 

 

CERCLE ET SPIRALE

 

Routejuillet2016meules

 

Pour m’extraire de la plate-forme où je suis garé j’enclenche une nouvelle et presque dernière fois fois la marche arrière, trompeuse parce qu’on ne voit pas le fossé et qu’on avance toujours, quoiqu’on fasse, dans la même direction. Même vu avec ce regard un peu éberlué, un peu las ou avide, des adieux, la route reste ordinaire et la vie, comme on dit, va de l’avant…

Voici la bergeronnette en équilibre sur le fil, le merle sur la rambarde, les martinets noirs dans le ciel bleu pâle, et une grive qui passe (la même qu’hier ?) avec de la nourriture au bec. Voici les hortensias bleus, et de nouveaux travaux qui commencent sur le toit de la grange au Verneil – voici le couvreur qui joue les funambules au-dessus de la Vallée. Voici un cycliste qui remonte en ahanant, les chevaux couchés dans l’herbe, le poulain qu’on trouve déjà grand. Voici une hermine en pelage d’été qui gît dos au ciel sur la chaussée, et puis la floraison des châtaigniers, le tracteur rouge qui ramasse les meules dans le champ jaune, les meules, la perfection des meules.

 

Un nouveau panneau flambant neuf avec une croix rouge sur fond bleu roi est planté devant mon point d’arrivée : interdiction de s’arrêter. D’accord, on continue, c’est bien de l’avoir dit, j’étais tenté d’en rester là.

 

La tentation qui m’est venue en regardant les meules, c’est celle du cercle. Le cercle est parfait qui, à moins de se pencher sur les cernes de l’arbre qui laissent visibles les blessures, est sans faille et donne l’illusion d’un éternel recommencement. « Printemps, été, automne, hiver… et printemps », comme le dit le titre de ce beau film de Kim Ki-duk. J’aurais pu faire quelque chose comme cela, et boucler l’almanach de ma route en rejoignant septembre.

La spirale cependant me paraît plus juste pour dire ce qu’est l’ordinaire de nos vies, avec ses lacunes. Ascendante ou descendante, elle suppose un décrochage, une perte, un gain, un mouvement, une pirouette peut-être aussi, des points de suspension en tout cas. Il y a du jeu entre ces cercles qui ne sont jamais les mêmes, qui permettent de rebondir comme un ressort, et qui suggèrent tout de même que cela pourrait se poursuivre à l’infini.

Alors je vais rouler encore un peu sur ma lancée, par devoir, par obligation, par habitude, jusqu’à l’heure des feux d’artifice, je vais rouler encore un tout petit peu, lentement, avec cérémonie, puis je descendrai de la voiture, je marcherai un moment et je m’arrêterai enfin, laissant l’été, la vie et le livre continuer seuls.

Cela nous fera une fin en spirale, avec des points de suspension…

5 juillet 2016

 

Ce contenu a été publié dans 2016. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.