Vigie, mars 2017

 

 

 

LA ROUTE ILLISIBLE

 

Vigieroutemars2017

 

Comme souvent, comme toujours à cette époque de l’année, l’hiver momentanément revient. Sur la route de retour le vent a abattu un container de tri, plusieurs stèles funéraires du petit cimetière de La Chapelle du Bard ainsi qu’un arbre qui bloque le passage et m’oblige à faire demi-tour. Au matin tout est blanc. La nostalgie de la « route ordinaire » − je veux dire de l’époque encore proche où j’écrivais en roulant le livre de la route − me revient, et me pousse à reprendre le dictaphone et l’appareil photo.

Je pourrais reparler de l’hiver en le personnifiant, des obstacles, des flammes sans fumée de la haie de têtards, et même comparer la route à un « lit réfrigérant » à cause des crapauds écrasés qui gisent, pris dans le givre − mais j’ai déjà dit tout cela : à quoi bon le redire ?

À quoi bon redire ? C’est probablement, au fond, et tout simplement, ce qui fait que Philippe Jaccottet n’écrit plus. Pas de quoi en faire un drame. On peut vivre sans dire. Quel dommage !

En attendant je roule encore, je parle encore, il neige encore. Au-dessus de la forêt d’un acajou sans lustre, les sommets enneigés semblent des palais. Le printemps avorton fait triste mine : c’est l’hiver qui est jeune et gracieux ! Hier les gens de l’équipement ont bien travaillé, et l’on passe à nouveau sur un lit de sciure balisé de rubans colorés. La route de Beauvoir reste coupée. L’avis de recherche du perroquet perdu au mois de juin dernier est à présent tout à fait illisible.

La route brouillée par la tempête et que je ne lisais plus, n’ayant plus à écrire, est illisible.

7 mars 2017

 

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