Vigie, mars 2017

 

 

 

LE BROUILLARD

 

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En ce jour bruineux et brouillardeux j’accueille au Villard Joël Vernet et sa compagne Françoise. Fébrilité et joie – l’homme ne peut que ressembler à ses livres, chaleureux, sensible, pas poseur ni arrogant pour deux sous, mais porteur de joie et de beauté. On visite la maison de la Cave aux Combles, puis on se pose au premier pour échanger, autour d’un thé, des paysages, des parcours, des noms – celui de Jacques Bertin est rapidement prononcé, avec qui Joël et Françoise ont même partagé un repas. On parle de Syrie et de chanson, de Julien Weiss et d’Abed Azrié, de Jean Vasca. Je note à la va-vite quelques noms, quelques titres : La Maison au bord de l’Oniégo de Mariusz Wilk, Éloge des voyages insensés de Vassili Golovanov, qui seront mes prochaines lectures (et je me souviens qu’il fût un temps où les noms de Bouvier, Follain, Abraham… ou Vernet m’étaient tout à fait inconnus, et qu’il a fallu à chaque fois un passeur pour me les faire découvrir).

Françoise, installée depuis des lustres non loin du massif tellement sombre et forestier de la Chartreuse (et que j’aime tant justement parce qu’il est sombre et forestier), n’aime pas beaucoup le froid humide de la région : quand elle n’exercera plus son métier de psychologue à Chambéry, elle quittera la Savoie pour un climat plus chaud et plus sec ; nous partons néanmoins marcher dans l’air froid et trempé de ce tout début mars encore hivernal (mais les grenouilles rousses écrasées sur le bitume rappellent que le printemps est là), descendons jusqu’au Gelon, remontons jusqu’au Pic de l’Huile. Les Bauges enneigés se découvrent un peu, puis une brume fine éclairée par le soleil gagne les champs jaunes – et l’on parle de Jean-Pierre Chambon, de Tout venant et du brouillard, on parle de quelques passants magnifiques et de quelques imposteurs notoires.

Je ne sais plus comment, sur le chemin du retour, dans une portion de la route particulièrement humide, la conversation en est venue à Philippe Jaccottet, au silence des dernières années de Jaccottet, qui me trouble tant (peut-être bêtement). Plus rien dire, vraiment, parce que tout a été dit de Grignan et de ses alentours ? C’est possible – j’imagine que je pourrais difficilement réécrire plusieurs fois La Route ordinaire (encore que j’aie déjà dans l’idée d’en écrire une suite, dans vingt ans, lorsque j’arriverai à la retraite, si par chance ou pas je travaille encore au collège d’Allevard) ; un champ trop petit ne nourrit pas éternellement ; et puis, l’âge, le grand âge, l’usure… (N’empêche, ce silence continue à m’obséder : au retour, j’écris finalement cette lettre mille fois commencée, jamais terminée et jamais envoyée, à Philippe Jaccottet, que j’ose lui poster enfin malgré ses bientôt quatre-vingt-douze ans qui devraient le mettre à l’abri de tous les importuns, aussi bien intentionnés soient-ils…)

Douce, finalement, fut cette balade dans la brume et la bruine, et notre petite Vallée s’en est trouvée agrandie.

 

2 mars 2017

 

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