Vigie, mars 2017

 

 

 

L’ENTRAÎNEMENT

 

Tous les bruits ordinaires, toutes les conversations de la maison, je les perçois à travers un brouillard de douleur et de fièvre. La vie se déroule comme en mon absence. De l’autre côté de la fenêtre au rideau tiré, j’entends la clameur des passereaux : gazouilli très aigu des mésanges à longue queue, cris des rouges-queues. À travers mes paupières fermées je perçois quand même la lumière du soleil qui frappe la baie vitrée. Dehors c’est le printemps. Les enfants sont en grande conversation à propos de la mythologie grecque ; ils cherchent le nom et le nombre de têtes du dragon qui garde la Toison d’or. Nathalie s’affaire, la chienne la suit en haletant et en frappant de ses vieilles griffes les lauzes du salon. J’avais un travail fou et cela m’inquiétait ; déjà je me disais que la journée serait trop courte pour accomplir toutes ces tâches tellement urgentes. Je m’étais levé tôt pour commencer par faire ma séance d’accordéon. La douleur qui m’a tordu le ventre a mis fin à tout cela : cette journée, je la passe allongée, à somnoler, à dormir, à rêver.
 
Dans ce rêve-ci j’ai les cheveux tout blancs. Dans ce rêve-là j’ai quinze ans et je pars en vacances. Dans ce rêve c’est l’hiver, dans celui-ci c’est le printemps. Je remercie la fièvre pour ce joli voyage. Quand je n’ai pas trop mal, je peux même savourer ce temps de liberté, ce temps sacré de la maladie. Je pense à celles et à ceux pour qui savourer est impossible parce que ce n’est pas une petite mais une grande maladie qui les a jetés au sol, et qu’ils souffrent sans autre perspective que de souffrir encore davantage, avec la peur de laisser derrière eux ceux qu’ils aiment et qui ont besoin d’eux. Je n’en suis pas du tout là mais quand même, discrètement, je m’entraîne.
 
12 mars 2017
 
 
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