Vigie, mars 2017

 

 

 

TOUT CE QUI VIBRE

 

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Je suis assis au bureau de la Cave pendant que Léo joue la « Chaconne » de Pachelbel – celle-là même que j’ai tant jouée, qui fut mon premier véritable morceau, parce qu’il est harmoniquement superbe et parce qu’il accompagnait avec toute la gravité requise le deuil de ma mère.

Toute la pièce est pleine des vibrations de l’accordéon de Léo, totalement absorbé par sa tâche. Hier, pour la première fois, peut-être inspiré par ce qu’en disait Léa, la fille hautboïste de Joël Vernet, et le bonheur si évident qui émanait d’elle pendant leur lecture musicale, il a estimé qu’il pourrait faire de la musique son métier (préoccupation trop précoce et qui n’est pas un rêve parental, mais on sait à quel point ces vocations se décident tôt).

Dehors c’est tout le printemps qui vibre. Les rouges-queues se poursuivent bruyamment sur le toit de la grange – les femelles ont donc rejoint les mâles. Les feuilles percent les lilas, les forsythias ont jauni. On sent décidément que la mer gelée craque.

Au courrier l’enveloppe espérée, postée de Grignan – et désormais la carte trône devant moi, dans laquelle Philippe Jaccottet me présente ses vœux « un peu tremblotants » et, en réponse à mes inquiétudes, se dit « en effet plutôt démuni et réduit au silence – sans m’en désoler mais sans plaisir bien sûr ». Je pense très fort à lui en commençant à écrire une « Lettre ouverte aux quatre vents » dont Joël m’a soufflé hier, à la médiathèque de Chambéry, l’envie et l’idée.

Dans le cocon de la médiathèque le hautbois sonne bien, qui traduit avec une grâce aérienne les paroles du poète et nous déporte loin vers l’est, vers le passé, dans le présent. Doris Jakubec évoque Philippe Jaccottet, Nicolas Bouvier et Joël Vernet promu écrivain suisse (mais tous les écrivains avec lesquels je me sens des affinités sont suisses, ou japonais, à la manière de Dany Laferrière se disant écrivain japonais, avec ce que cela suppose de sensibilité au temps et au monde…).

Les rencontres, la poésie, la musique, les bruissements du monde en mars et la voix de Léo qui récite à présent un poème de notre lecture tout en jouant Solotare : tout ce qui vibre et qui rend à cette vie « promise au grand large » toute l’ampleur qui lui revient.

 

19 mars 2017

 

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