Vigie, mai 2019

 

 

 

Le silence

 

 

Vigiemai2019 07

 

 

La pluie tombe en silence sur la terre impassible. C’est un spectacle étrange que cette pluie absolument silencieuse. Dans la nuit le vacarme habituel de l’averse orageuse sur la tôle du toit m’a réveillé. Il a encore grêlé, je pense, puis des hurlements de chats ou de chouette ont retenti – une vraie bande-son pour film d’épouvante ; mais depuis, plus rien.

 

J’écoute et je regarde tomber le silence.

 

En principe la pluie de mai réjouit, parce qu’elle remplit les nappes phréatiques et prépare à l’été, parce qu’elle est moins froide, parce qu’elle participe à la reverdie générale et parce qu’elle chante. Mais cette pluie-là ne chante plus, s’est tu, ou bien c’est moi qui n’entends plus ? Je frappe les paumes de mes mains l’une contre l’autre et un son me parvient. Je parle au chat et perçois le miaulement aigu de sa réponse (ce miaulement de chaton qu’il n’utiliserait jamais avec un de ses congénères, qu’il me destine en quelque sorte parce que la domestication de l’homme l’a maintenu dans cet état infantile).

La pluie, cependant, en percutant la fenêtre de toit, le jardin, la terrasse, ne fait toujours aucun bruit, pas même le froufrou des feuilles en automne ou le chuintement de la neige. Ce n’est pas une averse de neige, ce n’est pas une averse de feuilles ou de pollen, c’est bien la pluie qui en tombant nourrit les plantes, fait s’affoler les bambous, rentrer le chat, sortir les escargots et qui pavoise l’herbe du jardin avec les pétales blancs du cognassier. Seulement voilà, elle ne dit rien. C’est peut-être parce que je suis trop bien protégé par un toit trop solide, sous cette épaisseur de matières isolantes que j’ai installées moi-même, je me rappelle, il y a une dizaine d’années à présent…

 

Pour entendre à nouveau la pluie chanter il faudrait retourner planter la tente sur les crêtes ou plus loin encore, repartir à l’abade. Me revient encore en mémoire cette image du jeune homme que je fus, posant fièrement devant sa tente un jour de juin en Écosse. Si je prenais demain le bus pour Glasgow et si je m’en allais avec mon sac à dos sur le Long West Highland Way, est-ce que je le rejoindrais ? Est-ce que la pluie chanterait à nouveau ?

 

 

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