Vigie, mai 2019

 

 

 

Un jour, l’été

 

 

Vigiemai2019 08

 

  

Un jour, l’été revient. On repart dans l’air piquant, avec dans la tête tout un tournis de torrents en crue et de virages serrés. Sur la route à nouveau les frondaisons dessinent leurs labyrinthes de lumière et d’ombre. Les herbes sont hautes, c’est l’été. Les nuages en boules de coton s’amassent au-dessus de la Chartreuse, c’est l’été. Les abeilles butinent les derniers pissenlits que supplantent peu à peu les boutons d’or stériles, c’est l’été. Les broussailles ont repoussé et cachent le lieu de l’ancien effondrement, c’est l’été. L’eau des névés dévale, c’est l’été. En passant j’ai vu – ou cru voir – des cerises déjà rouges, c’est l’été. Les voisins se sont rassemblés dans leur jardin sous un grand parasol rose, c’est l’été. Je salue le liseron, les pâquerettes, le vent tiède, c’est l’été. Je ne m’en réjouis pas, je ne m’en attriste pas, je constate et, tout de même, je m’étonne, à cause de ce long mois de mai froid qui l’a précédé, et aussi parce qu’à dire vrai j’ai connu peu d’étés, par rapport à tous ceux que le monde a déjà inventés avant la venue de ce moi qui soliloque ici et dont ce n’est que le quarante-quatrième été – ou disons, comme on ne garde guère de souvenirs bien conscients des premières années, le quarantième, ou bien le cinquième depuis l’été terrible de la mort de ma mère, ou encore le deuxième depuis l’effondrement dont je tente depuis de m’extraire, in fine le premier de ce qui est peut-être, de ce qui est sans doute, une renaissance. 

 

Un jour, l’été revient, et l’on file tout droit en direction des grands nuages qui font rêver. Il faudrait pouvoir dire à ce moment-là l’éclat des acacias en fleurs, des coquelicots crevant le mur ensoleillé, de tout ce qu’on laisse derrière soi, de tout ce qui appelle devant soi, de ces falaises de la Chartreuse au loin et des vaches abondance au premier plan qui semblent mordre le paysage. Il faudrait qu’on puisse voir ici la corneille dodelinant en lisière du champ fraîchement fauché, ou l’étourneau qui lisse ses plumes sur le poste de guet du fil électrique, ou encore le blé en herbe qui capte la lumière. On ne peut pas décrire tout cela, mais on peut le nommer en passant, et recueillir sur la page ces évocations lacunaires qui sont au voyage vraiment vécu de la vie ce que peut-être, dans le ciel, la trace blanche laissée par un avion. 

 

À propos d’avion, voici un planeur blanc qui tourne autour de la falaise et dont la silhouette se confond avec les nuages. Moi-même je me rapproche de la falaise et mon esprit s’allège, s’effiloche, devient poreux, devient nuage.

 

 

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