Vigie, janvier 2021

 

 

 

Seuls sous la lune

 

 

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Qu’il est étrange d’être là dans la nuit, seul sous la lune brouillée en compagnie de cette ombre blanche qui court en cercle autour de moi. Une chouette chuinte, toutes les maisons sont encore éteintes. Mon petit névé canin fantomatique et muet parvient à rendre presque joyeux ce moment qui pourrait être angoissant.

 

Il faut avouer que la cohabitation avec un Samoyède de deux mois et demi n’est pas de tout repos. Hier soir, comme je l’avais envoyé promener dans le jardin pour préparer la séance de cinéma rituelle à la Cave, j’ai eu la surprise de l’entendre gémir juste derrière la porte : il avait arraché la chatière extérieure, avait réussi à se glisser par le trou et se tenait devant moi avec les restes de la chatière autour du cou et toujours ce sourire samoyède qui lui donne un air si débonnaire, si humain, comme chez le mouton-paresseux (c’est bien là le seul point commun qu’on puisse trouver entre ces bêtes). Rimski est venu regarder avec nous le « Star trek » du vendredi, non sans déposer au préalable sur mon tapis une bouse ignoble qu’il avait dû préparer amoureusement toute la journée durant…

 

Nuit paisible ; puis, à cinq heures, des feulements de chats me réveillent : la couleuvre s’est glissée sous le portillon, semant la panique chez les chats ainsi que dans la panière à linge de la salle de bain. Il salue mon arrivée d’un petit jappement de joie, et nous voici bientôt dehors, seuls sous la lune, à zigzaguer entre les restes de neige et la terre noire…

 

Puis on rentre, je travaille presque une heure « Asturias » à l’accordéon, et je m’installe sur la grande table du salon avec Rimski à mes pieds, le thé à portée de main, l’encens qui fume, Albeniz dans le lustre (j’ai accroché une enceinte au-dessus de ma tête pour me repasser le morceau en boucle dans une version pour guitare que j’aime particulièrement). D’ici je peux voir les mésanges à longue queue et les tarins qui font des cabrioles dans le bouleau. Rimski a posé sa tête sur mes pieds et je le sens qui s’agite un peu, je l’entends respirer bruyamment et pousser parfois de petits gémissements comme le faisait autrefois Patawa (je suppose que tous les chiens ont le sommeil bruyant).

 

Un rêve le réveille en sursaut, il revient fourrer son museau contre moi, réclame des caresses, puis retourne se coucher à l’endroit le plus froid de la pièce, contre la baie vitrée (si je n’écoutais que son propre confort il est évident qu’il faudrait que je coupe le chauffage et ouvre les fenêtres).

 

Matin paisible. J’écris. Je mets au propre ces lignes de la « Vigie » en janvier. La paix qui règne de nouveau sur nos vies au Villard ne vient pourtant pas de l’écriture, ni de ce thé vert par ailleurs excellent, ni de cet encens naturel qui allège l’esprit, ni même de Rimski – mais d’ailleurs, d’en face, de la grive que j’aime et qui, même invisible, chante continûment à la fenêtre de mon cœur et embellit ma vie.

 

Je me lève (Rimski aussi), je vais à la fenêtre et la salue d’un signe de la main – en même temps que je salue Janvier qui se referme, et Février qui s’ouvre.

 

 

© Lionel Seppoloni, tous droits réservés.

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