Vigie, janvier 2021

 

 

 

Entre deux cours

 

 

Vigiejanvier2021 courir

 

 

Vendredi, fin de matinée : je marche avec Rimski sur la route déserte dont la débâcle et les averses récentes ont transformé de part et d’autre les ornières en deux petits torrents argentés, et dont le bitume sombre parcouru par un fin voile d’eau semble un miroir mouvant dans lequel se reflètent les fragments d’un grand ciel tourmenté.

 

Petite marche encore bien froide le long des prés encore bien blancs où l’herbe spongieuse n’apparaît que par bribes. En ce dernier jour de janvier marqué par la crainte d’un troisième confinement, on sent déjà quelque chose de printanier, à cause de cette vie qui pulse dans les torrents et les cris des geais. Rimski, ravi de pouvoir marcher sans efforts sur la route, mais tenu cette fois en laisse, trottine nonchalamment en attrapant au passage une bogue, une châtaigne, un morceau de bois, une pierre, et l’on dirait un enfant ainsi occupé à tout ramasser (je suis sûr qu’il regrette de ne pas avoir de poche pour pouvoir transporter et rapporter ces trésors).

 

Le voici qui nage dans la neige molle, flairant je ne sais quoi pendant que je regarde les petits nuages d’évaporation au-dessus du champ blanc, l’impressionnante masse de nuages gris qui vient prendre en étau le petit coin de ciel bleu apparu tout à l’heure, les silhouettes dénudées et très sombres des châtaigniers. Rimski mord sa laisse, pour jouer ou rentrer, m’arrachant à la contemplation des Bauges, là-bas en face, dont la vague soulignée de neige brille au soleil avec toute une mer de neige accrochée au sommet. Il accepte de continuer un peu en secouant sa laisse comme une proie. Il me faut interpréter ses mouvements : refus de la balade, ou refus de la laisse ? J’hésite, je veux imposer ma volonté : on continue avec la laisse, car même si personne à cette heure ne passe sur cette petite route de montagne je préfère rester d’autant plus prudent qu’il n’obéit pas encore au rappel.

 

On continue. On marche sur cette route noire. On pénètre dans le sous-bois presque noir, lui aussi, et naturellement je repense à toutes les fois où nous avons fait en famille cette promenade avec Patawa, avec Josette, et je nous revois tenant la chienne en laisse…

 

Ces derniers temps je rêve plus que jamais, je rêve encore d’elle chaque nuit, je retrouve sa présence bienveillante mais distante. Pas de larmes, juste le cœur qui se serre à cause de cette distance insurmontable, irréparable. Ma mère, me dis-je, n’aura pas connu Rimski, elle qui aimait tant Patawa et aurait tant aimé ce petit ours blanc…

 

Janvier s’achève. On ne sait pas vers quelle catastrophe les mois à venir nous mènent, mais je marche sur la route noire avec mon chien blanc. Je marche… et puis soudain à son invite je me mets à courir, à courir comme je ne le fais jamais, et nous dévalons la vallée, l’un criant, l’autre jappant, moi répétant à tue-tête, sans raison : « courir ! courir ! courir ! »…

 

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