Vigie, janvier 2021

 

 

 

Dans les forêts de Sibérie

 

 

Janvier2021 Rimski04

  

 

Chaque jour désormais, ressortir. Il neige. Une corneille croasse. Le temps ralentit. À regarder ce louveteau blanc jouer dans la neige en silence, ma sensation d’avoir perdu une partie de l’ouïe s’en trouve encore accrue.

 

Silence sibérien.

 

Je n’exagère pas : c’est comme ça. Je n’avais plus vu notre havre savoyard ainsi depuis des lustres, peut-être même depuis le retour de Guyane.

 

Les flocons tombent au ralenti sur fond de sapins sombres. Rimski mastique une brindille, concentré sur le goût et l’odorat, tandis que je reste cantonné à la vue parce que je suis quand même un humain – mais quand il flaire l’odeur du champignon pourri, je flaire avec lui.

 

Crépitements. Croassements. Silence.

 

Une des choses que j’aime le plus chez le Samoyède est décidément son silence ; et puis, cette face d’ourson blanc, ce profil de renard polaire, avec juste les trois marques noires du museau et des yeux : une merveille.

 

Rentré entre deux cours je ne pensais rester qu’un moment, mais voici que l’averse de neige redouble et que, oubliant la montre, le travail, toutes les obligations ordinaires, je sens une irrépressible envie de repartir à travers champs en direction du Grand Creux – et quand je sens cela, je sais que la seule chose raisonnable est de céder sans perdre plus de temps.

Nous sommes en route.

 

Il y a juste avant le jardin de Joël un arbre tombé à terre dont Rimski adore mâchouiller les rameaux : allongé dans la neige il renverse la tête en arrière, comme pour hurler, un vrai loup dont les petits crocs aigus brillent à contre-jour…

 

Nous pénétrons dans la forêt : c’est la première fois. La forêt pendant une averse de neige est déjà un spectacle mystique, mais avec ce petit ours blanc qui slalome entre les arbres !…

 

« Rimski, tu veux voir le torrent ? » Voilà, nous dévalons, lui sur le ventre, et nous nous retrouvons au bord du Nant glacé qui gronde : encore une première fois. Le chiot semble soudain tout petit, qui n’ose traverser. Je lui montre le chemin mais il en cherche un autre, ne veut pas se mouiller, me considère depuis l’autre rive sans une plainte, puis finit par passer. Il prend la pause parmi les stalactites et traverse plus loin dans l’autre sens, avec un peu moins de crainte…

 

Lorsque, trois ou quatre jours plus tard, nous revenons avec Élodie et les enfants, le Nant n’est presque plus un obstacle. On se fraye un chemin entre le chaos des branches chargées de neige et le torrent en cru. Le Clan du Nant s’est reformé, s’est agrandi, reprend possession des lieux, de la grotte à l’intérieur de laquelle Rimski va se coucher. Le temps n’existe plus.

 

 

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