Vigie, avril 2022

 

Jour de vacance

 

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Au premier jour des vacances les rêves s’envolent et se dissolvent dans l’air limpide. Il y a tant à voir, à sentir, à dire et à vivre encore, tant de beauté à partager et de morilles dans les bois peut-être, l’air est si délicatement parfumé par les premières fleurs des lilas, qu’on en oublie même pour un moment la guerre et la perspective effarante d’un possible basculement du pays dans un régime d’extrême droite. On ne se force pas à détourner le regard, on continue à y penser, mais ces inquiétudes comme les rêveries que j’évoquais et comme les chants d’oiseaux, se perdent dans le ciel bleu. Le temps n’est pas à l’inquiétude, ni à la course semble-t-il, à en juger par la façon particulièrement nonchalante qu’a le chien de flâner en flairant tout. Le pouillot ponctue paresseusement la marche de son appel monotone. Les abeilles s’enivrent de pissenlits. Que le petit chemin de la Martinette ait pu, il n’y a pas si longtemps, être barré par un monticule d’un mètre de neige, n’a pas plus de réalité que les crises en cours, la guerre lointaine ou la situation politique : le présent emporte tout.

Un geai traverse au soleil, suivi d’un autre geai : ah, le bel éclat bleu de leurs plumes ! C’est peu dire que le ciel est bleu lui aussi, de ce bleu doux d’avril qui ressemble à une eau peu profonde ; bleus sont aussi les volets de la petite maison où Élodie habitera peut-être un jour. Je la salue en passant. Elle est un peu cachée, tout au bout du chemin derrière une haie de thuyas démesurés, dans ce beau creux ensoleillé de la Martinette, avec vue sur les prés en pente et la forêt. Il n’est pas difficile de s’imaginer vivre là, je crois, pour peu qu’on aime un certain isolement, les renards, les chevreuils et les travaux des champs.

Marche silencieuse. Un jour, après que j’aurai encore beaucoup marché, beaucoup parlé, je me tairai. Ce sera comme le poème d’une longue vacance, la retraite de la prose, un point d’orgue après dix mesures de pause. Tout sera simple et clair. Pour l’heure, je m’engage sur le chemin confus de la rive droite, avec ses ronces et ses chablis. Rimski soudain fait un écart, et se met à aboyer — mais pas comme il le fait lorsque c’est un chevreuil. Ça bouge dans l’arbre, la branche ploie comme sous le poids d’un petit singe : je salue l’écureuil, puis je repars en slalomant vers ce secteur de la forêt où poussent les morilles.

Il est bien sympathique, ce promeneur que je croise avec son berger d’Australie : il me montre les belles blondes qu’il a ramassées, on parle du printemps, des champignons et de nos chiens, puis je le regarde se diriger avant moi – avec quelle consternation – tout droit vers mon coin à morilles…

15/04  

 

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