Vigie, avril 2023

 

 

Prose de la quête vaine

 

 

Quand j’y repense il me semble

que chaque jour en ce temps-là

était un poème,

chaque jour chaque moment chaque image,

la silhouette familière

dans l’encadrement de la porte

la terrasse au-dessus des sumacs

le sous-toit peint en vert

la dernière nectarine,

chaque image chaque couleur chaque fruit

était un poème

dont l’écho me revient

au détour du chemin

et me fait défaillir.

 

Pourtant revient aussi

parce que c’est un beau jour d’avril

parce que j’ai l’après-midi devant moi

parce que mon chien me fait fête

parce que les enfants qui ne sont plus des enfants

sont encore là quand même

dans cette maison

qui reste leur maison,

et qu’Élodie travaille en son jardin,

parce que je pars en promenade

et que le vent me porte,

me revient aussi la conscience

de ce que ce jour

comme chaque jour

peut être encore un poème

enchâssé dans la prose

(il suffit de tailler).

 

Je taille. Je glane. Je vais au hasard des sous-bois en remontant le nant. Je n’ai pas soif de vers, pas faim de poésie, et nulle envie de trouver de ces tropes qui donneraient à mon texte des airs de profondeur. C’est le fait de marcher aujourd’hui en ce lieu comme je le fais depuis seize ans mais pour la première fois, qui est un poème — et plutôt qu’un beau vers je préférerais à coup sûr un parterre de morilles. C’est peut-être pour cela que je ne serai jamais tout à fait à mon aise parmi les poètes (en tout cas parmi ceux qui ne comprennent pas qu’une morille vaut mieux qu’une métaphore), et pas non plus à ma place auprès d’un cueilleur (s’il en existe) qui ne verrait en elle qu’un champignon alors qu’elle est de la promenade le trope, l’ornement, la plus belle trouvaille, et bien avant de devenir une réalité tangible un rêve, une projection de l’esprit du cueilleur, un fantasme dont la possible réalisation le maintient en éveil.

Finalement je sors du bois bredouille et rejoins le champ ensoleillé et la route de la montagne. Est-ce que Rimski se souvient que c’est dans ce virage qu’il avait débusqué un jour un marcassin complètement affolé parce qu’il n’arrivait pas à s’enfuir dans la neige épaisse ? Moi, je me souviens, je me souviens et mes souvenirs sentent fort la résine. J’avance lentement en direction de la montagne. Il est plus dur de rentrer que de conclure un poème.

Mystère humain, tous ces arbustes auxquels sont accrochés de petits sachets transparents avec de la mousse à l’intérieur.

Je prolonge en m’allongeant dans l’herbe tiède, dos au sol, face au soleil.

Chant intermittent d’un pouillot.

Vent dans les feuilles mortes.

Rumeur du Nant.

Ayant trempé ses pattes dans la boue de la mare, mon chien blanc repart en chaussettes noires.

 

06/04/23

 

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