Prose de la quête vaine
Quand j’y repense il me semble
que chaque jour en ce temps-là
était un poème,
chaque jour chaque moment chaque image,
la silhouette familière
dans l’encadrement de la porte
la terrasse au-dessus des sumacs
le sous-toit peint en vert
la dernière nectarine,
chaque image chaque couleur chaque fruit
était un poème
dont l’écho me revient
au détour du chemin
et me fait défaillir.
Pourtant revient aussi
parce que c’est un beau jour d’avril
parce que j’ai l’après-midi devant moi
parce que mon chien me fait fête
parce que les enfants qui ne sont plus des enfants
sont encore là quand même
dans cette maison
qui reste leur maison,
et qu’Élodie travaille en son jardin,
parce que je pars en promenade
et que le vent me porte,
me revient aussi la conscience
de ce que ce jour
comme chaque jour
peut être encore un poème
enchâssé dans la prose
(il suffit de tailler).
Je taille. Je glane. Je vais au hasard des sous-bois en remontant le nant. Je n’ai pas soif de vers, pas faim de poésie, et nulle envie de trouver de ces tropes qui donneraient à mon texte des airs de profondeur. C’est le fait de marcher aujourd’hui en ce lieu comme je le fais depuis seize ans mais pour la première fois, qui est un poème — et plutôt qu’un beau vers je préférerais à coup sûr un parterre de morilles. C’est peut-être pour cela que je ne serai jamais tout à fait à mon aise parmi les poètes (en tout cas parmi ceux qui ne comprennent pas qu’une morille vaut mieux qu’une métaphore), et pas non plus à ma place auprès d’un cueilleur (s’il en existe) qui ne verrait en elle qu’un champignon alors qu’elle est de la promenade le trope, l’ornement, la plus belle trouvaille, et bien avant de devenir une réalité tangible un rêve, une projection de l’esprit du cueilleur, un fantasme dont la possible réalisation le maintient en éveil.
Finalement je sors du bois bredouille et rejoins le champ ensoleillé et la route de la montagne. Est-ce que Rimski se souvient que c’est dans ce virage qu’il avait débusqué un jour un marcassin complètement affolé parce qu’il n’arrivait pas à s’enfuir dans la neige épaisse ? Moi, je me souviens, je me souviens et mes souvenirs sentent fort la résine. J’avance lentement en direction de la montagne. Il est plus dur de rentrer que de conclure un poème.
Mystère humain, tous ces arbustes auxquels sont accrochés de petits sachets transparents avec de la mousse à l’intérieur.
Je prolonge en m’allongeant dans l’herbe tiède, dos au sol, face au soleil.
Chant intermittent d’un pouillot.
Vent dans les feuilles mortes.
Rumeur du Nant.
Ayant trempé ses pattes dans la boue de la mare, mon chien blanc repart en chaussettes noires.
06/04/23