Vigie, avril 2023

 

La clôture

 

 

Maintenant les clôtures n’ont plus de secret pour moi. Je regarde quel bois a été utilisé, les modèles rabotés font mon admiration, et j’éprouve de la compassion pour les piquets rongés par le temps et les clôtures à moitié défoncées. Je note que les grands poteaux d’EDF sont surmontés de chapeaux à pointe métallique probablement très efficaces pour éviter les infiltrations d’eau qui, avec le gel, finissent par tout fendre. Et puis, entre deux coups de masse là-haut dans le grand champ dont une large bande appartient désormais à Élodie, je savoure l’air à nouveau humide, l’odeur de l’air, la belle perspective sur la vallée brouillée.

Ce matin je suis allé seul à la répétition d’accordéon, laissant Clément dormir car nous sommes rentrés tard du concert d’Arthur H. À mon retour on dîne tous ensemble, Éric et Nathalie, Élodie, les enfants, avant de retourner planter les piquets. Il y en a presque trois cents, plus ou moins grands, plus ou moins lourds, et qui résistent plus ou moins à la masse. Il  est touchant et cocasse de voir peu à peu converger tous les amis du Villard pour aider, car voici Annick avec sa barre à mine, River portant une masse, Laurence avec Arsène qui en apporte une autre, pendant que Nathalie et Éric sont déjà au travail. « Alors c’est ça, une barre à mine ? Moi, je n’en avais connaissance que par une chanson de Dominique A qui évoque l’île de la Réunion, Toi que les barres à mine ennuient, je te promets promets promets… — Oh, Dominique A, nous l’adorons ! dit Annick. — On va le voir fin mai, venez donc avec nous ! » Et c’est ainsi que le convoi s’élargit dans cette atmosphère de connivence sans contrainte qui est celle de mon hameau.

Une clôture, cela délimite un territoire à l’intérieur duquel on se rassemble, on crée des bulles d’entraide et d’entente. Bien sûr, cela permet de se protéger, en l’occurrence de protéger les cultures des sangliers, des chevreuils et des cerfs, mais notre enclos ne sera pas une prison. D’abord, on ménage des passages, laissant libres de larges bandes en lisière pour respecter les habitudes des bêtes. Et puis, ces alignements de rondins qui ressemblent à des mégalithes ne sont pas sans beauté. Plus tard on y fera pousser des clématites. Les buses s’en serviront d’observatoire, et l’on construira aussi une cabane pour les outils et pour se reposer, ainsi qu’un affût pour observer la faune. On en fera un lieu de vie pour tout le monde, bêtes et gens, sinon à quoi bon ? Là-bas, une petite mare, et puis toutes sortes de plantes et d’arbres, c’est le domaine d’Élodie. Rêver de tout cela, c’est un peu comme faire le plan d’un livre à écrire.

29/04/23

 

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