Route, septembre 2014

 

 

 

PREMIER SEPTEMBRE

 

D’abord on ne voit pas grand-chose, comme après une nuit mauvaise, un réveil avant l’aube. On frotte les yeux collés, le pare-brise embué, puis la route apparaît en même temps que les bribes d’un ciel très pur, très pâle, déjà lumineux, presque sans nuages, estival. Un bouleau ruisselant de pièces jaunes ramène à la saison.

Les feuillages ont terni, roussi. Les châtaigniers sont couverts de bogues vertes. À plusieurs reprises la route est coupée par des travaux. Feu rouge ; puis l’on passe prudemment en frôlant les engins de chantier. Ici on creuse un fossé, là on refait une façade, plus loin on tente de retenir l’effondrement en cours (retenir les effondrements est une saine activité). Ces interruptions permettent d’apprécier certains détails de ces admirables natures vives: lourdes pommes rouges, ombre bleue sur la route grise, taches de lumière chaude, jaune, bienfaisante de ce très beau matin du tout début d’automne.

Pas de sentiment. Juste regarder.

Soudain on sort de l’ombre. On traverse le grand champ tout baigné de lumière, on passe devant la haie des saules têtards qui sont encore d’un beau vert pâle. Rassemblées sur les fils électriques, voici toute une troupe d’hirondelles, comme déjà préparant la migration (il est devenu rare d’en voir autant à la fois dans nos régions), et qui s’égayent au passage de la voiture.

Beau paysage automnal, coloré, riche. Belle peinture. Au-dessus de Bramefarine un écheveau de nuages blancs est resté accroché. Paysage barré du côté de Belledonne. Une partie de la petite route qui mène à Arvillard s’est effondrée. On passe encore. On passe devant la grande maison triste, toujours à l’ombre, à flanc de colline, et qu’on imagine bien froide et bien humide. On s’enfonce, et puis on remonte. Il y a toujours une sorte d’énergie dans cette remontée-là, avec en outre l’impatience qu’il y a à retrouver juste après ce virage à gauche, les mélèzes (en montagne, plus haut, ils ont déjà commencé à jaunir ; ils sont ici encore verts, ignorants de l’automne). On aperçoit aussi dans les prés les disques blancs des grandes lépiotes élevées, et on aimerait s’arrêter pour aller les ramasser. À la sortie d’Arvillard voici le carrefour à la croix rouillée, puis l’usine aux toits rouille rouge, puis le passage, le pont, la rivière, l’entrée dans l’Isère. On s’étonne de voir le manteau vert de l’été déjà si troué.

Il me semble que les saisons avancent de plus en plus vite. « Je sens que maintenant tout va un peu plus vite. Pourtant nous avions tout juste trente ans… »

Mais tenons cela à distance.

(Il est difficile pourtant de ne pas sentir le cœur se serrer devant ce voile, ces couleurs chatoyantes mais voilées, ces champs moissonnés que traverse un paysan avec son chien, ces processions de nuages gris blanc sur fond de ciel pâle au-dessus d’Allevard. Ce n’est pas seulement sur la route que les fissures travaillent.)

 

1er septembre 2014

 

Ce contenu a été publié dans 2014. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.