La salle en octobre

 

LE HAKA

du temps qui passe

 

 

Haka

 

Comme chaque année les élèves de Troisième présentent leur « haka », production finale d’un projet commun anglais-EPS. Les différents groupes, maquillés de peintures guerrières et habillés de la couleur choisie par leur équipe, exécutent leur féroce chorégraphie en se frappant les cuisses et en hurlant les paroles en anglais qu’ils ont apprises, et qui ont pour but d’intimider l’ « adversaire ». C’est un beau travail de cohésion, dont la présentation est devenue l’un des rituels de l’automne au collège, devant tous les élèves rassemblés au grand complet dans la cour. D’autres images des années précédentes se superposent à la scène – on se souvient en passant de G., qui transforma naguère l’exercice en chorégraphie de Pina Bausch, ou de A. qui s’y brisa la voix, cependant que les meneurs officient avec une belle hargne.

De retour en salle, le professeur félicite à voix douce la classe, qui répond à l’habituel coup de bol par, c’est ainsi qu’ils nomment la chose, un « triple A » – autrement dit, trois « ah ! » hurlés en cadence qui font vibrer les cordes vocales, les typans, les vitres, les murs, le sol, tout l’étage. Le professeur naturellement s’amuse de la surprise, et réitère le coup de bol : dong – « Ah ! ah ! ah ! » – dong – « Ah ! ah ! ah ! » – dong – « Ah ! ah ! ah ! » – dong – « Ah ! ah ! ah ! » – dong – « Ah ! ah ! ah ! » – puis, comme ils faiblissent : « cela commence à mollir ! », et les élèves de relever par de nouvelles salves tonitruantes le défi, que l’on fera durer, ma foi, une bonne dizaine de minutes.

Après quoi le professeur projette sur l’écran la liste des devoirs de vacances, puis saute au centre de la salle et se livre à son tour à son propre haka, hurlant : « I am the best prof de français of the world, et je vais vous faire travailler comme des bêtes… », avant de se lancer dans une vociférante performance qui, ce jour-là, cette année-là, s’achève pitoyablement quand sa voix fatiguée se brise.

Il n’y a aucun doute : il vieillit, le professeur, il fatigue, alors que les élèves en face de lui font montre d’une énergie éternellement renouvelée ; qu’on se le dise cependant : le haka du temps qui passe, si peu tapageur puisse-t-il paraître, aura raison de tout, aura raison de tous !

17/10/19

 

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