Vigie, juillet 2013

 

 

 

EN CLANDESTIN

 

 

Habite et n’habite pas ta maison.

René Char

 

Habite ta maison en clandestin, en furtif, en voleur, en locataire absent. Nul signe ne trahit plus ta présence : pas un bruit, rideaux tirés, tout juste de temps à autre un frémissement de fantôme à la fenêtre (mais on aura rêvé sans doute), une ombre humaine à la terrasse, et l’empressement des chats tout autour de cette ombre.

Habite ton lieu discrètement, au pourtour plutôt qu’au centre de toi-même. Retire-toi dans ce silence où se déploient les voix des habitants plus légitimes : babillements de fauvettes, trilles du merle et des mésanges, chanson du rougequeue.

Les fruits commencent à rougir au merisier, dont les feuilles battent comme le balancier d’une horloge. Les chants d’oiseaux, la clameur des grillons et les voix humaines s’accordent. Dans le retrait, comme un violon laissé depuis des lustres à l’abandon, raccorde-toi. Laisse-toi duper par la douceur du soleil matinal, griser par les parfums d’été et cette liberté de mouton échappé de l’enclos (n’es-tu pas semblable à ce mouton resté pris dans les rets du filet électrique quand le troupeau s’est échappé — celui-là qu’on a libéré tantôt avec Joël et qui est parti sans un bêlement rejoindre les siens ?).

Passe le temps, passent les tracteurs (on résiste à la tentation d’écrire « les tracteurs du temps »…) car il fait beau et qu’il faut faire les foins.

Passent les martinets et passent les passants.

La petite cabane où jouaient les enfants est restée ouverte et il n’y a plus d’enfants : rien qu’une ombre démesurée dont tu te joues, avec laquelle tu joues, en laquelle tu te glisses et te confonds, habitant clandestin séparé du troupeau qui le rassurait.

 

8 juillet 2013

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