Route, novembre 2014

 

 

 

MATINS MOUILLÉS

 

« Les matin mouillés de novembre

avec la brume au bout des dents… »

Jean Vasca

 

C’est un vrai matin mouillé de novembre, avec ses pans de brume, ses champs ruisselants, et la route trempée. Les feuilles s’amassent, les couleurs tombent (la montagne n’a cependant pas encore viré à ce gris rose que j’associe spontanément à novembre). Devant la porte de la ferme un homme pousse à grand peine un tonneau qui n’a pas l’air disposé à rouler : on dirait Sisyphe avec son rocher. Je le regarde, il tourne la tête et me regarde en train de le regarder, et j’ai peur qu’il ne me trouve un peu indiscret ; pas même le temps de détourner la tête ou de faire celui qui n’a rien vu, la voiture est déjà loin.

Les ornières ont fait le plein de flaques. Arbres rouges dans le champ vert. La terre à nu, retournée par les lignes précises du labour. Le grincement intermittent, assez pénible, des essuie-glaces. Au fond de la combe le brouillard est si dense que l’on rallume les feux. À cause de l’amoncellement des feuilles, la route semble rétrécie. On frôle les fossés, les talus, la mousse des vieux murs… Sur la branche droite de la petite croix de fer, une goutte d’eau brille. La route, elle aussi, brille, ainsi que les plumes bleues du geai ou les feux de la voiture ; puis tout s’éteint et c’est comme si on allait être pris d’un étourdissement, comme si on était sur le point de s’endormir ou comme si, déjà profondément endormi, on avait simplement ouvert un œil à l’occasion d’un très bref réveil. Sensation d’abandon et d’irréalité, à laquelle il est prudent de ne pas se laisser aller…

J’accélère dans la dernière ligne droite pour le seul plaisir de voir s’envoler de conserve cinq ou six corneilles dans la brume. 

10 novembre 2014

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