Route, novembre 2014

 

 

 

PARTITION DE NOVEMBRE

 

Hier encore les lumières et les couleurs étaient si flamboyantes… On ne pouvait s’empêcher d’avoir en tête des mots comme fête, faste, etc. On s’étonnait de cette persistance de l’automne. En remontant la vallée on voyait cependant une sorte de traînée sombre, comme de la cendre jetée en fond de combe sur la partie la plus haute de la forêt. On s’était dit : l’hiver arrive par là.

Pluie toute la nuit, pluie froide ce matin sur la route. On se trouve entouré par ce crépitement doux sur l’habitacle comme par les notes d’un orchestre de chambre (me vient aussi en tête la chanson de Jacques Bertin « Fête étrange », avec ses « musiciens silencieux et doux » : « ce serait un dimanche, un soir d’automne, un manège très lent, une fine musique… »). La haie des saules têtards se détache en jaune forsythia sur fond d’orange et de gris. Sensations affinées. Terre noire, sillons noirs tracés dans la terre lourde. Châtaigniers jaune et noir, comme habités d’abeilles. Pomme vert-jaune tombée à terre. Les gouttières le long de la route font une seconde averse, et l’on cascade sur le bitume. Les voitures qui passent tracent des sillages. 

Novembre apparaît enfin froid, pluvieux, brouillardeux mais pas cafardeux. On avance vers un repos. C’est sans doute moins confortable que l’abandon qu’on associe à tort ou à raison à l’été, moins exubérant que la poussée de sève printanière, moins imposant que la plénitude d’un hiver enneigé ; mais il y a dans cette proximité nouvelle avec le monde « extérieur » quelque chose d’intense. 

Je traverse le bourg d’Arvillard : voici le square avec les jeux d’enfants battus par la pluie, et sans enfants bien sûr ; les échafaudages qu’on a enlevés et entassés devant la maison du carrefour, une fois terminés les travaux de réfection de la façade ; les ornières qui se creusent dans les chemins boueux, le rouille-rouge de certains feuillages… 

Le fumier fume. Un merle fou joue les kamikazes à quelques centimètres du pare-brise. Un peu avant le cimetière l’eau a débordé et l’on traverse une sorte de petite rivière qui évoque soudain, pourquoi pas, un Pantanal en miniature ! 

Peu de bêtes cependant, peu de gens. Quelques ouvriers en ciré jaune, qu’on voit de loin. Quatre vaches courbées sous l’averse. Les feux d’un grumier arrêté devant la scierie. Deux corneilles en pleine conversation muette sur un fil électrique… 

Maintenant il fait bon dans l’habitacle chauffé, et les essuie-glaces tiennent le rythme de cette partition de novembre. Pas de grands départs, peu de bruit. Juste un crépitement, la chanson des essuie-glaces « jamais tout à fait en rythme » (chantait  encore Bertin), et ce sillage qu’on laisse derrière soi. 

 

Lundi 17 novembre 2014

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