Vigie, juin 2015

 

 

  

LE SOLEIL COGNE À VOTRE PORTE

 

 

Le soleil cogne à la porte de votre maison, dont la façade aux volets tirés semble bien sombre maintenant. Le petit bouddha de l’alcôve ne veille plus que sur des murs vides, on le sent. On sent que la maison est vide, au tout début de l’abandon, comme un chien encore en bonne santé qui vient de poser sa tête entre ses pattes dans l’attente d’un maître qui ne reviendra pas. 

Évidemment, je dramatise. On se réjouit pour vous de ce départ volontaire vers la ville, et cela n’a rien de larmoyant. C’est juste la fin d’un cycle – trente années au Villard, tout de même. Mais ce serait vraiment biaiser que de ne pas avouer qu’on est triste, assis là devant la maison pas causante pour deux sous, ou qui ne parle plus qu’à voix basse de choses tristes.

Chacun garde en mémoire de ces images-là : la maison qu’il faut quitter à cause de l’âge, à cause de la maladie, à cause du deuil, les cartons qu’on entasse, les visiteurs qui posent sur les vieux murs un regard sans amour, le grand panneau « à vendre ». Je me souviens de ce vieux couple à qui mes parents avaient naguère acheté la maison des Vellats (celle-là même que mon père, maintenant, a mis en vente pour aller à son tour vers la ville) ; je me souviens de sa tristesse à lui, de ses regrets quand il s’était retrouvé dans un appartement chambérien trop sombre, trop froid, une cave disait-il. Je sais que vous avez fait les choses avec soin et sagesse, et que vous ne vous retrouvez certes pas dans une situation aussi triste.

Ce n’est que moi qui suis triste, parce que je pense aux bons moments passés avec vous, parce que le village sans vous est un peu moins un havre. De retour à la maison je ferai chanter un moment le Crucianelli que m’a laissé Alain, et je lirai le livre de Robert Hainard avec, en tête, l’accent suisse de Suzette, voilà. Je rajouterai une cuillerée de souvenirs en poudre dans la théière pour un thé plus amer…

En attendant, le soleil cogne à votre porte et fait reluire les feuilles du grand érable qui ne se souvient de rien (pas même de notre dernier verre pris ici-même, devant lui, il y a quelques jours à peine) et qui continue avec une immuable indifférence à présider aux va-et-vient du carrefour – et cette permanence des arbres, plus encore que celle des vieux murs, n’en finit pas de jeter le trouble…

 

 

5 juin 2015

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