Vigie, juin 2015

 

 

 

LA PAIX EN MON JARDIN

 

 

Fin d’après-midi de ce mi-temps d’été. Changeant de point de vue je délaisse mon poste des combles pour le hamac que je tends sous le bosquet des saules marsault et des bouleaux. Les chats sont embusqués dans les hautes herbes et, des heures durant, font mine de s’attaquer. Les enfants se sont dispersés dans le petit bois d’en haut, et l’on entend l’éclat atténué de leurs voix. Moi, je renverse la tête en arrière et je regarde les feuilles bouger. 

Les brebis me rejoignent, qui cherchent la compagnie et me considèrent avec un air bon. Je les trouve très belles… J’ai déjà dit ailleurs mon dégoût des débroussailleuses et des tondeuses (même si je confesse ressentir un certain plaisir paradoxal à « entretenir » le jardin, id est à couper court au développement anarchique des fleurs sauvages et des hautes herbes en tuant au passage tous ces autres habitants légitimes du lieu que sont les sauterelles, les escargots, les limaces ou les grenouilles, parce qu’il me semble que sans cette bande d’herbe courte – on n’ose parler de pelouse – c’est le chaos de la nature qui nous serre de trop près…). 

Je reste donc émerveillé devant ces deux brebis peu farouches qui broutent à mes côtés avec une délicatesse extrême. Nulle violence. Les grenouilles, assez nombreuses dans cette partie du jardin, les criquets et les grillons continueront à chanter en paix. Les brebis elles-mêmes, sauvées de l’abattoir par Joël et Annick, ne risquent certes pas le méchoui. La chanson de leurs sonnailles et leurs rares bêlements se mêlent aux cris des enfants et me ramènent à mes souvenirs de montagne : c’est la paix en mon jardin, la paix parmi les hautes herbes de juin. 

Les enfants s’appellent, m’appellent.

Le chat Musique, qui n’est plus un chaton, me rejoint, s’affale sur moi et s’endort en ronronnant.

J’attire, par des chuintements, les jeunes mésanges que leurs parents nourrissent encore, qui viennent se poser juste au-dessus du hamac pour voir qui les réclame, et me remercient de ce dérangement inutile par l’ornement d’une fiente laissée sur le carnet…

C’était la paix, ce jour-là, la paix en mon jardin…

 

(Il faut pourtant bien ajouter, en guise d’épilogue et par souci d’honnêteté, un mot sur les brebis. J’ai noté la délicatesse avec laquelle elles broutaient l’herbe. C’était un euphémisme. Il a bien fallu reconnaître que la paix déclarée au peuple des hautes herbes s’accompagnait d’une déclaration de guerre à tous les arbustes, bientôt écorcés, écorchés de toute part malgré les protections mises en place. Les brebis n’aiment pas l’herbe – c’est une grande découverte ! Elles n’aiment pas se pencher, non plus, pour manger – elles préfèrent, à l’instar des chèvres, se percher, tendre le cou le plus haut possible. Elles sont en outre aussi têtues qu’un chat : quand, après les avoir pourchassé une vingtième fois pour les empêcher de dévorer ce qui restait d’un jeune chèvrefeuille – qu’il va donc falloir rebaptiser en « attire-mouton » − j’ai constaté qu’elles mettaient à cette tâche un entrain peut-être ravivé par la joie du jeu, j’ai compris qu’il faudrait renoncer à cette manière douce d’ « entretenir » le jardin, et reprendre bon an mal an la tondeuse… Rien n’est jamais si simple !)

 

 

8 juin 2015

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