Vigie, juin 2015

 

  

LE BRUANT JAUNE

  

 

Un bruant jaune à la fenêtre ! Un bruant jaune s’est posé là, à quelques mètres, sur le poirier, et lance sa rengaine inachevée, interminable et monotone, pareille au babillement d’une hirondelle fatiguée… C’est la première fois que je le vois ici, au Villard. Son chant criard, sa silhouette rondelette aussitôt reconnue à cause de mon passé d’ornithomane, me remplissent de joie.

Le temps où Géroudet pouvait écrire de lui qu’il « peut être considéré comme le rural, le campagnard moyen, si commun et si répandu qu’on le regarde à peine », semble loin. À l’instar de beaucoup de passereaux autrefois communs comme le bouvreuil pivoine déjà évoqué dans ces pages, le bruant jaune est devenu bien rare. Je l’observais encore assez couramment il y a quelques années (c’était au siècle dernier) dans la campagne de l’avant-pays savoyard. Je l’ai revu de loin en loin dans les Bauges, mais jamais dans la vallée des Huiles : l’agriculture industrielle, qui a transformé en désert toxique une bonne partie de notre territoire, et le déclin de l’agriculture traditionnelle lui ont été particulièrement défavorables, car il appréciait les haies, les champs de céréales sans poison, les insectes et les tas de fumier…

Un passéiste, ce bruant-là. Un qui n’a rien compris. Un inadapté. Qu’est-ce qu’il fait encore là à chanter comme si de rien n’était ? N’a pas entendu parler de l’extinction en cours, cet ahuri ? Eh, l’oiseau lyrique, qu’est-ce que tu as encore à chanter ?…

Toute la journée je travaille en sa compagnie : il revient se percher régulièrement au même endroit, et il reviendra ainsi tout au long de ce mois de juin accompagné de quelques congénères. Je l’entends, je le vois chanter maintenant. Je surveille le poirier tout comme au premier jour. J’en profite pour saluer les deux pies mes commères, et leur rejeton sans queue qui risque son premier vol ; puis toute une bande de mésanges à longue queue très élégantes, un peu ébouriffées… 

On en oublierait le travail.

 

7 juin 2015

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