Les Cruz, avril 1996

 

 

 

VERS LE MONT

 

 

Je ne connais pas cet endroit, je n’ai pas pris de carte et je le regrette. Je monte tout de même d’un bon pas à travers la forêt. Derrière moi un halo bleu brouille toujours le Granier. Des plaques de neige parsèment l’herbe jaune.

Voici bientôt un sentier de pierres rouges. Une côte raide et enneigée me fait glisser et transpirer. Pour éviter de déraper je prends soin d’emprunter les empreintes laissées par un prédécesseur : « bien marcher, c’est marcher sans laisser de traces » − d’accord, mais en laisser est aussi bien utiles pour ceux qui suivent.

Tout en haut la piste s’élargit et méandre entre les arbres. Une neige encore épaisse recouvre entièrement le sol. Il n’y a personne. La neige étincelle. Chants d’oiseaux. Je pénètre dans la forêt sombre.

Je reste assis sur un siège de feuilles mortes, au cœur de cette forêt hivernale toute frémissante de printemps. D’innombrables et minuscules araignées se faufilent sous les feuilles avec d’imperceptibles froissis. Des fourmis grattent, des ioules creusent, les feuilles tremblent comme animées d’une nouvelle vitalité, un pic cogne gaillardement contre un vieux tronc pas mort du tout…

Je marche.

Avancer sans raquettes dans cette neige molle est pénible et je progresse lentement. Je laisse derrière moi de grosses traces boueuses. Personne ne se risquera ici avant la fonte des neiges, maintenant – et même après les sentiers boueux resteront impraticables quelque temps. Skieurs, marcheurs en raquettes et promeneurs de la belle saison laissent donc momentanément la place entièrement libre pour les misanthropes agoraphobes et les chamois…

Silence.

Si l’on tend vraiment l’oreille on entend pousser la mousse, les feuilles toutes neuves, les neuves aiguilles, et circuler la sève. Les oiseaux s’appellent, s’interpellent – m’interpellent ?

En route pour le col du Grapillon, à la modeste altitude de 1509 mètres.

 

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