Matin de juin
C’est un matin d’été nullement imaginé, mais bel et bien vécu, où les hauts bouquets de scabieuses s’épanouissent au soleil et essaiment à tout vent, et je marche d’un bon pas avec mon ours canin d’un blanc de marguerite, on pourrait croire, sur la route bordée de boutons d’or et de petits géraniums mauves qui semblent prolonger la lumière jusque dans la pénombre des sous-bois. L’air capiteux, vénéneux même, brûle mes narines, je suffoque et décide de descendre au plus vite me réfugier aux bords du Gelon en suivant la petite route secondaire qui relie Le Villard au chef lieu et où pas une voiture ne roule, à cette heure et en ce jour de la semaine – on n’a jamais vu route plus paisible.
Rimski hume, gratte, se réjouit manifestement de l’été comme il se réjouissait de l’hiver, même pas accablé par la chaleur parce qu’ici, à l’ombre des grands châtaigniers et des épicéas juste au-dessus du Gelon dont on sent déjà le souffle, l’air est plus frais. Je reste tout étonné de cet été revenu, de cette chance qu’on a de vivre un été de plus avec ce que cela suppose de perspectives rouvertes, d’amoureuses escapades, de joies partagées avec le grand chien blanc qui vient tout juste d’accélérer l’allure parce que le ruisseau se rapproche.
Voici le petit sentier dont chaque ornière nous est familière, le toboggan, les taches de lumière sur les lauzes, le bain enfin. L’eau coule à gros bouillons fracassants jusqu’à une grande baignoire dans laquelle Rimski prend ses aises, sans se tremper entièrement toutefois. Comme toujours il donne des coups de pattes dans l’eau qu’il semble considérer comme vivante, puis se met à aboyer.
Juste avant de partir, cherchant la laisse dans l’atelier, j’ai retrouvé une boîte avec divers débris du passé : un œuf de goéland ramassé en Écosse, un petit triton alpestre desséché venu d’un très lointain passé, des photos. Ces vestiges m’ont moins ému que la vision présente du Gelon bouillonnant et de Rimski qui, après avoir glissé sur la pierre humide, peine à remonter, s’affole, me tend une patte dont je me saisis pour le tirer de l’eau, après quoi il manifeste sa reconnaissance par de grands coups de langue sur mon visage.