Vigie, décembre 2021

 

 

 

Le reflux des temps

 

 

Vigie131221

 

 

Comme en novembre il pleut. J’aime ces reflux du temps qu’il fait parce qu’ils me donnent l’impression que le temps qui passe aussi, comme une rivière plutôt qu’un réveil, peut être remonté ; il s’en faudrait cependant de beaucoup pour que je puisse me croire revenu au temps insouciant des cueillettes d’automne, tant le sentier reste difficile à parcourir. Je suis la trace boueuse laissée par les motos, qui ont une fois de plus tout enlaidi sur leur passage. La dernière fois que j’ai pu faire ce tour de la Martinette, c’était après les grandes chutes de neige d’il y a deux semaines, et comme trois motards avaient entrepris la gageure de remonter le chemin dans ces conditions impossibles, il avait fallu supporter l’odeur assez épouvantable des engins qui étaient devant nous, puis, après que nous avions réussi à les dépasser, marcher le plus vite possible dans la neige épaisse afin de ne pas être rattrapés.

La balade d’aujourd’hui est plus tranquille. La pluie grise trace des cercles dans les flaques noires des ornières qui se sont reformées là où la neige a déjà suffisamment fondu. Rimski sans crier gare se déporte vers le Gelon pour suivre les traces d’un chevreuil ou d’un cerf, toujours aux mêmes endroits puisque, manifestement, les bêtes ont conservé leurs habitudes ; puis il se coince dans les ronces, jappe un peu de contrariété, passe en force et poursuit son chemin avec une gerbe de feuilles accrochée à l’oreille gauche, ornement bucolique qui adoucit encore son allure de jeune loup débonnaire.

Flic-floc des bottes, ornières gelées, ornières ouvertes, ce n’est pas aujourd’hui que je la verrai, ma salamandre… Plus loin les arbres abattus sont encore si nombreux qu’on ne trouve plus beaucoup de traces humaines, si ce n’est des empreintes de bottes (je crois que ce sont les miennes) qui suivent celles des cervidés. Je me souviens de cette expression que j’aime bien, pour ses connotations de jeunesse échevelée et de fraîcheur : « folâtrer comme un veau dans le trèfle » ; en voici une autre, équivalente : folâtrer comme un Samoyède dans la neige…

Moi, je ne folâtre pas. J’avance à pas boueux, à pas pesants, à pas craquants, à pas ruisselants, j’avance pas à pas dans la neige.

 

27/12/21

 

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