Vigie, décembre 2021

 

 

 

La débâcle

 

 

Vigie141221

 

 

La pluie occupe tout l’espace sonore, avec son crépitement continu, ses plic-ploc puissants et précis au premier plan et son grésillement d’arrière-plan, avec aussi le ruissellement et parfois le bruit de cascade des ornières et des gouttières. Une corneille tente bien d’attirer l’attention en lançant son appel, mais on se dit : « corneille dans la pluie » et le dernier mot reste à la pluie. Au bord de la mare encore gelée et cernée de neige, un merle muet sautille.

La pluie occupe tout l’espace. Elle regagne en deux jours les territoires cédés à la neige. Par nostalgie peut-être déjà de ce Décembre qui file vers sa fin, ou bien simplement pour suivre Rimski, je repars à travers le grand champ blanc maculé de fragments d’herbes jaunes, de traces d’animaux, de crottes et d’abeilles mortes (je me demande si une seule des ruches installées ici aura passé l’hiver, car cela fait plusieurs semaines qu’on trouve un peu partout des cadavres d’abeilles).

Il est de nouveau facile de se promener. Sous les grands châtaigniers le crépitement de l’averse redouble, et c’est tout juste si l’on entend les cris des geais. Je regarde les barreaux gris de la pluie se refermer sur la forêt sombre. Insensible à l’inconfort des gouttes qui lui font parfois cligner les yeux, Rimski mâche une bouse.

Plus de renard dans le champ au renard, mais des souvenirs de renards. Plus de cerf-volant dans le pré au cerf-volant. Soudain ma mère me manque, et mon petit garçon aussi avec qui je voudrais pouvoir reconstruire l’ancien affût dont il ne reste plus rien.

À mesure qu’on descend le grondement devient terrible. C’est la débâcle qui mugit, arrache les arbres fragilisés, fait déborder le Gelon, emporte en deux jours toute la neige, tous les souvenirs de Noël, et jusqu’à la fin de ce texte dont je ne sauve que ces bribes…

 

29/12/21

 

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