Vigie, décembre 2021

 

 

 

Dans la paix blanche du salon

 

 

Vigie101221

 

 

Grande paix blanche dans le salon cerné de givre et de brume. Les chats se pelotonnent sur ou sous les plaids, près du radiateur ou de leur maître. On n’entend aucun bruit, si ce n’est le tic-tac du coucou, les sons les plus aigus de la flûte qui fusent à travers la dalle en béton depuis la cave ou bien l’éclat de rire de Clément qui joue avec son frère sous les combles – et ces sons-là à la fois rassurent, parce qu’on sent que la maison est encore habitée, et font ressortir le silence du salon.

Grande paix lumineuse de ces heures passées à lire sur le canapé en buvant du café – à lire un peu, à rêvasser beaucoup. Me suis emparé pour l’occasion de Regards sur le monde actuel de Paul Valéry. Ai constaté que ces lignes de 1945 semblent avoir été écrites pour aujourd’hui, qui proclament que « le temps du monde fini commence » : autrefois, « chaque perturbation produite en un point du globe se développait comme dans un milieu illimité ; ses effets étaient nuls à distance suffisamment grande ; tout se passait à Tokyo comme si Berlin fût à l’infini ». Désormais, « toute action (…) engendre un désordre de résonance dans une enceinte fermée. Les effets des effets, qui étaient autrefois insensibles ou négligeables relativement à la durée d’une vie humaine (…) se font sentir presque instantanément à toute distance. » Ces paroles d’une lucidité prophétique me rappellent ce jour où l’annonce de la découverte d’un coronavirus transmissible d’homme à homme en Chine n’avait soulevé aucune inquiétude particulière en France parce que la Chine était si loin… On sait maintenant pour de bon à quel point notre monde est petit. On n’a certes rien gagné en sagesse (le refus absurde de la vaccination et les divers discours complotistes en attestent), mais peut-être en lucidité.

La brume file devant le poirier et l’anxiété vient battre aux fenêtres de ma maison flottante. Je ne songe pas aux pauvres gens admis en ce moment-même en réanimation, je ne songe pas aux morts mais, bien égoïstement, à la fin prévisible de ces fêtes si précieuses à mes yeux des concerts, des salles de cinéma. Dans ma tête résonnent encore les chansons de West Side Story, dont la nouvelle version de Spielberg vue avant-hier soir avec Clément a été un tel éblouissement, le vieux diamant terni du chef d’œuvre d’antan ayant été retaillé par un maître joaillier capable d’en révéler de nouveau tout l’éclat. Ah, cette joie sauvage et âpre du chant et de la danse, comme je serais triste d’en être de nouveau privé !

On regardera danser la brume à la fenêtre et, en guise de chant, on demandera à la grive posée, comme chaque année, dans le prunier en face, de nous en offrir un bien hivernal, heureux quand même, paisible mais tendu…

 

19/12/21

 

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