Sur le chemin de glace
Nuages bas, matin de neige, chemin de glace. Cette sensation d’être piégé dans un congélateur me rappelle un rêve fait par ma mère qui, peu de temps avant sa mort, s’était vue ainsi enfermée dans un frigo… Je marche entre deux murs de neige, attentif surtout à ne pas déraper – plus attentif qu’à ça, plus bon qu’à ça en ce moment. Tache rouge parmi le blanc, un pic épeiche se pose sur une branche nue. Deux grives traversent. On ne peut plus habiter de la même façon ce lieu qu’on reconnaît à peine : toutes les distances, toutes les habitudes sont bouleversées. Aujourd’hui, je choisis d’emprunter la petite route des Boissard au dessus du Villard.
Mare gelée, arbres givrés, route verglacée, forêt brumeuse, le monde flottant est surtout monde glissant.
Quand il aperçoit une belle étendue de neige vierge, Rimski plonge et roule avec toujours le même plaisir. À mesure que l’on monte, le paysage se resserre au lieu de s’ouvrir, la brume devient brouillard, la route rétrécit, les maisons rapetissent et s’effacent. Le froid fait mal aux sinus et l’on se demande comment font les bêtes et les gens obligés de rester dehors…
À l’entrée du bois Rimski débusque un marcassin encore duveteux et rayé qui dérape dans la neige et peine à s’échapper. Naturellement le chien se met à hurler follement dans les aigus, bondit, se dresse sur ses pattes arrière, proteste autant qu’il le peut contre la longe qui l’entrave. Je le retiens à grand peine, arc-bouté au monticule de neige du bord de la route. La neige à part, j’ai déjà vu cette scène il y a quelques années, en Normandie, dans un jardin zoologique : un jeune cochon laineux s’était échappé et divaguait devant l’enclos d’un loup qui aurait aimé le croquer. Rimski fait le loup. Aboiements au loin en réponse. Où se cache donc la maman du marcassin égaré ? Je regarde avec méfiance le sous-bois… Des traces de sang dans la neige.
Silence. Brouillard. Seul signe de vie, le chien blanc attaché au hameau des Portiers saute dans la neige et aboie après Rimski.
Au croisement entre la route de Prévieux et celle de la Montagne, j’hésite un moment, puis je choisis Prévieux parce que j’ai envie d’aller voir la cascade gelée et les dernières maisons des Fruitiers qui semblent un camp de trappeur, en ce bout du monde dont le chasse-neige matérialise la frontière.
Par bravade je franchis la limite, m’avance encore un peu sur le chemin impraticable sans raquettes. Un coup d’œil au chaos des arbres effondrés et puis, nous n’irons pas plus loin.
16/12/21