Vigie, décembre 2021

 

 

 

Crépuscule de neige

 

 

Vigie061221

 

 

Aucune image ne peut rendre compte de la qualité de blancheur du paysage en cette fin de dimanche après-midi. Il a neigé à gros flocons toute la journée et à présent que ne tombent plus que les ombres du soir, le blanc profond de la neige fraîche s’intensifie, comme si l’averse se poursuivait souterrainement, à l’intérieur du manteau neigeux. Le contraste est parfait entre ce blanc mat, intense, précis mais rentré, comme nourri de nuit, et l’anthracite vaporeux du ciel dont les dégradés vont d’une trouée bleu glacier à l’ouest jusqu’à un à-plat charbonneux, granuleux, épais, au-dessus de Belledonne. Je reste saisi, impuissant à trouver les images qui pourraient rendre compte de ce que je vois. Les troncs luisants des arbres, les planches humides des granges, la terre et les feuilles sombres des châtaigniers qui affleurent aux endroits où le chemin a été déneigé, tout semble dessiné à l’encre de Chine. C’est bien cela : on dirait que l’on se promène dans un dessin – mais d’ordinaire, le contraste forcé de l’encre simplifie tout, alors qu’à cette heure et dans ce paysage qui n’est pas un dessin, la gamme de nuances, d’intensités et de couleurs de ces faux gris nullement écrasés par l’éclat rentré du blanc est incroyablement variée. Je finis par visualiser l’image que j’ai eue en tête dès les premiers pas dans ce décor et que je cherchais confusément. Ce n’est pas tout à fait un dessin, mais une estampe –  une estampe d’Hiroshige représentant une averse de neige, la nuit, dans un village. Je me promène dans une estampe d’Hiroshige…

Grand silence. La neige fraîche crisse à peine sous les bottes, seul le ruissellement du Nant résonne. Je me penche pour ramasser un peu de cette belle poudre blanche et la jeter sur Rimski qui tire trop fort sur la laisse : de la farine froide, vraiment, que le chien gobe en faisant claquer sa mâchoire.

Ce matin deux chevreuils sont venus se réfugier dans le petit bois qui jouxte le jardin, indifférents aux aboiements rauques de Rimski (j’ai pu constater que la réparation du grillage pour l’instant suffit à le retenir à l’intérieur de l’enclos, puisque même cette suprême tentation ne l’a pas fait sauter de l’autre côté). Depuis, je crois bien qu’il ne rêve que de les retrouver…

Près de l’écluse l’eau du Gelon cascade avec un beau vacarme, et la passerelle ce soir me semble d’une fragilité touchante.

Ciel toujours plus sombre, ombres toujours plus noires, blanc toujours plus blanc, le crépuscule nous enveloppe et l’on avance dans la neige.

 

05/12/21

 

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