Vigie, octobre 2023

 

Brève mélancolie pastel

 

 

Je ne sais pas comment nommer cette mélancolie douce, pas vraiment noire mais plutôt gris-bleu pastel, cette humeur un peu grave mais nullement pesante, on pourrait dire comme pour les espèces menacées mais pas encore trop : « en état de préoccupation mineure ».

C’est dimanche soir, le soleil a disparu mais on y voit bien encore quand on passe à travers champs. Sitôt revenu de la cohue du Grand Bivouac où j’ai retrouvé avec plaisir la parole et le regard clairs de Cédric Sapin-Defour, les sollicitations et l’exposition médiatique ne troublent pas, je repars avec Rimski, passé maître dans cet art de slalomer entre les bogues qu’il lui faudra bientôt enseigner à Nouchka. Un soleil tout brouillé fait du surplace sur la ligne de la Chartreuse qu’il crève de ses derniers éclats. On n’entend plus que le bruit des dents des vaches qui raclent l’herbe encore verte, et de rares appels de geais ou de corneilles — en voici une qui passe avec une noix dans le bec.

La mélancolie douce que j’ai ressentie au moment de me remettre en marche se ravive quand je passe sur le chemin jonché de noix, car je me dis confusément que je manque quelque chose, que je passe à côté d’une richesse, puis elle se précise et s’intensifie devant les châtaignes qui brillent dans la pénombre du sentier : cette beauté fugace qui m’échappe, je sens que c’est celle de l’automne qui est en train de nous filer entre les doigts, de cet automne nullement flamboyant, qui ne ressemble toujours à aucun de ceux qu’on a connus jusqu’à présent, mais qui est là pourtant en train de basculer vers son dernier mouvement, comme le soleil bascule de l’autre côté de la Chartreuse.

Rimski s’arrête au-dessus de La Martinette et regarde vers le champ aux chevreuils, regarde vers la maison d’Élodie. Le chevreuil, justement, attend en lisière, nous regarde puis disparaît. Le soir tombe. Élodie aussi l’a sentie, cette mélancolie : triste et presque désemparée de se retrouver seule, elle nous rejoint finalement pour jouer en quelque sorte les prolongations, prolonger le jour, c’était l’obsession de Niels à La Giettaz. J’entends la porte de sa maison qui claque, Rimski guette sa venue avec une frénésie qu’il n’a pas pour moi et qui pourrait me rendre jaloux si je n’en étais en fait si content. La voici au bout du chemin qui nous fait signe, toute vêtue de sombre ; le chien blanc court vers elle et lui fait fête…

22/10/23

 

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