Dans l’épaisseur du temps
La promenade ce matin est voilée de très peu d’anxiété, seuls les hurlements des chiens de chasse dans le chenil en face perturbent la quiétude des lieux. Un quad rouge avec deux casques est garé aux Landaz, qui me rappelle celui de mon roman « indien », et plus loin les champignons-pieuvre australiens prolifèrent de plus belle dans le sous-bois, que je photographie encore parce qu’ils me fascinent.
Les châtaignes brillent sur le sentier, que l’on ramasse pour le plaisir de les regarder et de les faire rouler dans la main ; cette sensation ne me rappelle aucun événement particulier de l’enfance, mais parce qu’elle est perçue avec une acuité et un plaisir inchangés elle m’y ramène néanmoins, ou me ramène à l’enfance présente en moi qui m’intéresse bien davantage que l’enfance vécue, dont les bribes d’images mélangées manquent de netteté, alors que la mésange dont le chant à l’instant m’interpelle et que je vois sur la branche basse d’un pommier est bien nette, bien vivante dans l’arbre et dans ma tête.
J’aime que le temps confère au livre comme à la vie une épaisseur, mais ce n’est pas tant pour revivre ou faire revivre des moments du passé que pour faire résonner la richesse du présent – aussi n’ai-je jamais consacré de livre, ni même je crois de chapitre complet, à des souvenirs d’enfance. Je le ferai peut-être plus tard, qui sait, quand mon présent sera devenu trop pauvre, trop ténu ou trop tendu, je me tournerai tout de bon vers l’enfance ; mais pour l’heure, il y a bien trop de richesses à vivre et à dire en ce mois d’octobre 2023 où je marche encore derrière le grand chien blanc, en quête de cèpes et de girolles tardives, avec des châtaignes plein les poches.
Voici cependant sur le chemin le cadavre d’un oisillon de troglodyte mignon, dont la présence confirme encore cette idée que la chaleur fait prendre aux oiseaux l’automne pour un nouveau printemps (ce que les bourgeons observés par ailleurs confirme)…
03/10/23
