Vigie, octobre 2023

 

Rimski et Nouchka

 

 

Marche entre deux averses sous le ciel changeant : tout est trempé, tout lumineux, un instant le soleil repeint en vert vif le grand pré, et puis l’instant d’après tout grisonne comme ce qu’on imagine de novembre. Hier j’ai ramassé les pommes d’or du cognassier planté au moment de la mort de Josette pour en faire de la gelée, puis ramassé avec Clément les kiwis dont on a taillé les lianes envahissantes : c’est aussi une façon de faire de l’automne quelque chose de tangible. J’ai longuement échangé avec Tina, vice-présidente de l’association de sauvetage de samoyèdes, à propos de la probable adoption de Nouchka. La rencontre aura lieu ce dimanche. De ce grand chambardement, Rimski ne peut bien sûr avoir aucune prescience : il s’approche mornement du vieux border collie des Landaz, qui le regarde à peine, qui ne sortira pas ; les vaches très paisiblement allongées ne le regardent pas non plus, seuls les moutons daignent bêler un peu à son passage et venir vers lui mais Rimski en a peur à cause du fil électrique…

Si tout se passe bien, dès la semaine prochaine il aura avec lui jour et nuit la compagnie canine qui lui manque, une compagne de jeu qui lui ressemble, rescapée d’un de ces drames intimes qu’on ne souhaite à personne parce que ça fait pleurer (comme me fait pleurer l’image de l’écureuil qui a sauté tout à leur sur la route devant la voiture, que je n’ai pas pu éviter, dont j’ai senti le corps passer sous la roue, avant de voir dans le rétroviseur le petit acrobate dont j’avais gardé l’image bien vivante sur ma rétine transformé en un chiffon inerte).

Rimski est Nouchka : on ne pouvait rêver plus bel accord des noms. Le médecin qui en avait fait l’acquisition dans un élevage et vivait seul dans son chalet ne peut plus marcher. Un temps il s’est accroché à la présence du chiot, qui ne pouvait plus sortir de la maison, puis il a renoncé. À trois mois, elle s’est aussi fracturée une patte et a dû être opérée. Elle ne garde pas de séquelles de ses débuts perturbés, seulement un immense besoin de présence canine et de jeu. Tout ce que je sais d’elle me fait ressentir l’évidence de sa venue, sans aucune de ces tergiversations dont je suis coutumier. Naturellement je sais les contraintes, le temps de brossage doublé, le maniement des longes qui s’emmêlent rendu un peu plus compliqué, le concours de creusement de galeries dans le jardin ravagé et de hurlements dans la maison maculée de terre, mais c’est peu de choses par rapport à ce que je pressens : un amour enrichi d’interactions nouvelles, et plus épanouissant pour le chien de meute qui trottine devant moi.

Rimski, cependant, tout à sa promenade, disparaît dans un buisson et en ressort avec, dans la gueule, un crâne de chevreuil qui dégage une terrible odeur de putréfaction. La vie et la mort…

25/10/23

 

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