La salle en mars

 

 

 

« Y A UN CONTRÔLE ? »

 

Comme à chaque cours depuis le début de l’année (soit tout de même six mois), j’ai procédé à la distribution des documents avant leur arrivée, afin de gagner du temps et d’éviter le désordre qui accompagne en général ces moments fastidieux ; et comme à chaque fois, entrant dans la classe et découvrant les feuilles qui les attendent, ils s’exclament en roulant les yeux à la manière des acteurs du cinéma muet : « Y a un contrôle ? »

Je ne donne jamais de contrôle surprise, et je ne suis pas sûr qu’eux-mêmes y croient vraiment. Ce n’est sans doute qu’un jeu pour faire peur à plus crédules qu’eux, une façon de mettre en scène un réflexe conditionné, ou bien l’irrépressible expression d’une peur ancestrale comparable à celle du loup, de la nuit,  de la piqûre, de l’araignée ; un élève qui voit une araignée sur un mur en classe, surtout si c’est une fille, se doit de crier même s’il n’a pas du tout peur des araignées…

Cette façon de faire en tout cas attendrit, pour tout ce qu’elle révèle de candeur préservée, et parce qu’elle me rappelle ma grand-mère qui, chaque matin, lorsque nous remontions du sous-sol où nous avions passé la nuit dans la petite maison de Montluçon dont le plancher craquait, et parce qu’elle se levait très tôt pour préparer la cuisine, invariablement s’exclamait (avec l’accent italien) : « Je vous ai réveillés ? » Ainsi aussi des radotages de la tante Léonie dans La recherche du temps perdu, et de toutes ces paroles qui ne veulent rien dire, qui ne prétendent délivrer aucune véritable information, mais qui sont juste le souffle, l’expression poignante et pure de la vie des gens, comme façon de dire: « J’existe! »

 

6 mars 2017

 

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