Vigie, septembre 2012

 

 

 

LES COUPS DE FEU ONT CESSÉ…

 

 

Les coups de feu ont cessé. Un peu de poudre stagne encore dans certains creux, là où les premiers froids ont orné les crêtes d’une ligne de fumée. En ce calme pourtant, lové en la brise, en la lumière douce, en les entrelacs du vol catastrophique d’un papillon jaune, en toutes ces choses qu’il est si bon de voir, s’immisce l’automne.

 

Place ton dos contre le tronc du vieux merisier, cale-toi bien entre ses racines : le lichen, le tronc, la mousse t’accueillent. Écoute à présent les cloches de six heures, les clarines, les criquets, le rire du pic, toutes ces choses qu’il est si bon d’entendre. Redresse la tête et, où que tu sois, aspire à l’espace. L’espace. Plus d’espace… Ton cœur en automne ainsi se rouvre et se serre, se serre et se rouvre.

 

*

 

Une fine pellicule de fatigue se dépose sur les couleurs, ternit le jaune, blanchit le rouge, brouille le bleu, assombrit le verre, noircit le blanc et finalement se dépose sur les feuilles des arbres ou du carnet. Au crépuscule le renard creuse. Le chevreuil se terre dans l’herbe trempée. On n’entend plus la hulotte ni aucun son, sauf le tic-tac de l’horloge, le frottement de la plume, le souffle voilé de fatigue du dormeur éveillé, ce chant aphone des couleurs, cette voix blanche qui ne veut pas cesser. 

 

*

 

Un chat égaré dans les méandres d’un rêve par effraction me ramène entre les murs du vieux Fort où la lumière crue de l’été me brûlait. Quelque chose brûle, apparent et caché,  comme au cœur de la flamme une autre flamme bleue, comme un rêve enchâssé dans le rêve. 

 

« Bien sûr que c’est une illusion, mais alors une super illusion » dit Marpa aux imbéciles qui s’étonnaient de ses pleurs lorsque mourut son fils. 

 

Bien sûr que la brûlure n’est qu’illusoire – mais au matin la vallée barrée par la brume, brûle pour de bon. 

 

*

  

Laisser la brume filer ; laisser les larmes sécher ; laisser l’arbre plier et casser ; laisser miauler le chat à la porte ; laisser l’enfant partir ; laisser ceux qu’on aime s’évanouir en poussière, en fumée automnale ; laisser la joie se briser se laisser choir, tout affaissé : cela n’est rien, cela est aisé – mais laisser le terne l’emporter et cette terre sans tremblement, et cette nuit plombée d’un sommeil animal, laisser cette page s’achever sans plus poursuivre sur l’autre page la course dorée de la plume, délaisser l’écriture, refermer le carnet, la page blanc mat offerte au néant, cela, vraiment…

 

*

 

Matin mouillé. L’homme aux lunettes noires armé de sa débroussailleuse parcourt en chantant le champ, ajoutant un panache de poussière à la brume. Lovée en zafu, la chatte dort sur le coussin rouge. Rosée, poussière et brume brouillent la vue.

 

Trait après trait, avec quelques pics, quelques flèches, quelques courbes, en cette redescente à peine maîtrisée, cette glissade comme sur un tapis de feuilles, on tente de tailler dans toute cette confusion, on tente d’y voir clair.

 

1 au 4 septembre 2012

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